Une journée comme les autres. Levé tard car couché tard. Passé aux écuries voir Lune de Miel. Seule différence? J'étais monté, un peu du moins. C'était vraiment un truc pas possible. Comment Camilla pouvait aimer passer des heures de suite à cheval? C'était crevant, on suait comme pas deux, et en prime ça filait des courbatures à des muscles qui n'auraient pas du exister, pour la peine. Bon, si je râle, vous devez vous poser une grande question: mais pourquoi je montais à cheval? Et bien... j'aimais bien, mine de rien. Et je râlais parce que j'avais mangé du sable, au propre comme au figuré. Donc c'était tout de suite moins charmant. Surtout que bon, je ne savais pas si c'était ma faute ou celle de la jument, et c'était frustrant. J'étais donc rentré à l'écurie sur un échec cuisant. J'avais rapidement dessellé la jument, pour la mettre un peu dehors avec ses "copines", avant de ranger mon matériel.

J'avais franchement trop la classe à Dallas... C'est ironique, hein. J'étais couvert de sable blanc - c'était resté dans les fibres de mes habits, youhou! - le jour où j'avais mis du noir, pour changer un peu de mes préférences pour un tee-shirt blanc. En plus, j'étais mouillé parce que la carrière avait était lissée, mais qu'il restait un peu d'eau. J'allais chopper froid... Mais ce n'était pas une raison pour négliger le rangement du matériel, donc direction la sellerie de la troisième allée. J'évitais de râler extérieurement, et grand bien me fasse puisqu'une jeune femme était dans la sellerie. Son visage retint mon attention et je la saluais avec un sourire tout en rangeant le matériel. Je m'apprêtais à ressortir aussi sec de la sellerie - c'est petit, humide et froid! - lorsque je remarquais qu'elle réparait les cuirs. Ses mains bougeaient à un rythme assez impressionnant compte tenu de la résistance du matériau qu'elle travaillait. J'engageais la conversation, mine de rien. Je supposais que c'était son métier, personne ne s'amuserait à remettre en état du matériel aussi usé, si?

« C'est un métier exigeant..? »

Curiosité quand tu nous tiens... Il faut aussi avouer que la jeune femme en elle même avait réussi à capter mon intérêt, avec son visage presque enfantin, mignon à croquer.

Ouais, j'étais de sale humeur. Ouais, j'étais tombé de cheval. Ouais, j'étais pressé de rentrer chez moi. Mais bon, rassurez-vous. Ma petite RPGiste me dit de vous glisser discrètement, tant qu'il n'écoute pas, que je ne suis pas comme Jesse, même lorsque je suis de mauvaise humeur. Je trouve généralement le moyen de tout prendre à contre-pieds pour mieux rebondir. Bref, je ne suis pas Jesse.

Lorsque la jeune femme commença à me répondre, je sentis d'emblée que j'avais à faire à quelqu'un qui aimait assez son métier pour en parler longuement. Une passionnée. Et je l'enviais quelques peu. Car en plus d'apprécier sa réponse spontanée et complète, j'étais un peu fasciné par cette façon qu'elle avait d'adorer ce qu'elle faisait. J'aurais aimé en dire autant de mon propre métier, mais serveur dans une boîte, ce n'était pas une vocation, si vous voulez mon avis. Surtout pas quand on est un bringueur comme moi. J'eus un sourire tout ce qu'il y a de plus craquant - et pas charmeur, vous voyez la nuance? - lorsqu'elle enchaîna. Je lui répondis d'un ton léger, plutôt neutre.

« Je préfère le "tu", si ça ne pose pas de problème. Je suis serveur en boîte de nuit, c'est bien moins passionnant... C'est une vocation ou c'est par dépit? Au fait, je m'appelle Alexandre. »

Présentation délicatement glissée dans la phrase, s'il vous plait! Non mais sérieusement, le fait qu'une jeune femme aussi sublime et aussi jeune à la fois se complaise dans un métier pareil. Et par là, j'entends métier en voix de disparition quand même. Ce n'était que mon avis personnel, mais c'était assez surprenant. Enfin bref. Avec tout ça, j'étais toujours pas parti.

Eh bien il fallait avouer qu'il ne faisait pas bien chaud. Mais bon, loin de moi l'idée de me plaindre ou de passer pour une mauviette, hein. Bon, d'abord j'avais dis pas bien chaud, et pas froid, alors quand la jeune femme me dit que je pouvais toujours me servir du polaire pour ne pas prendre froid, je déclinais poliment sa proposition, argumentant qu'il ne faisait pas si froid que ça. Non mais c'était vrai, fallait pas croire, je n'étais pas fou. Bon, je n'aurais pas dit que j'avais chaud non plus, hein, mais ça allait, franchement. Bref.

Je l'écoutais. Elle aimait vraiment son métier, ça s'entendait. J'en étais presque à l'envier. Mais sans un diplôme en poche, en ayant fait de la détention pour mineur... J'avais déjà eu bien de la chance d'être engagé en boîte ! Je servais de temps à autres de videur, avec ma "petite" carrure de passe-partout mais ma hargne que je n'avais plus à montrer. C'était prouvé, j'avais un sacré vrai caractère, foi d'Alex' ! J'étais de ceux qui ne se laissaient pas marcher sur les pieds, qui n'abandonnaient jamais, quoi qu'il arrive. C'était un peu mon défaut, j'étais trop impliqué dans ce que je faisais, en général.

Alors comme ça c'était le plus pur des hasards qui l'avait mené à ce métier ? La Garde Républicaine... Camilla m'avait une fois traîné au défilé du quatorze juillet juste pour voir ces cavaliers. Il fallait avouer qu'ils avaient une classe impressionnante lorsqu'ils défilaient tous ensemble, au pas de leurs grands chevaux, alezans ou bais, à la musculature si développée. Ça avait de quoi faire frémir. C'était d'ailleurs le seul moment du défilé que je consentais à regarder, puisque j'avais un léger souci avec tout ce qui est gendarmerie et armée. Non mais les démêlés de justice et moi... Voilà quoi ! J'hochais la tête, avec un léger sourire.

La question qui suivit m'obligea presque à faire marcher mes neurones - oui j'en ai Elliana, mauvaise langue ! Oui je sais qu'elle n'a rien dit mais ça fait de la longueur ! - pour me souvenir d'où j'avais débuté. Paris, la capitale, les blocs, la rue. C'était ça mes souvenirs de là-bas. Et pourtant, je ne regrettais rien ! Pas même la détention qui m'avait volé quelques mois de ma jeunesse. Je dois avouer que ça avait commencé à me remettre sur les rails et que ça m'avait permis de devenir le gars que j'étais aujourd'hui, d'une certaine manière. Nécessaire ? Pour mon cas oui. Mais j'aurais, je l'avoue, préféré éviter. Il me fallut quelques secondes de réflexion avant de répondre.

« J'ai commencé en banlieue parisienne. Y'a pas si longtemps, d'ailleurs. »

Peut-être, quoi ? Un peu moins d'une dizaine d'années ? Et puis j'avais arrêté pendant longtemps. Je n'étais pas de ceux qui étaient mordus d'équitation. Ça me plaisait, je m'éclatais, mais ça s'arrêtait là. Si je ne pouvais plus monter, et bien je ne pouvais plus monter ! Je trouverais quelque chose d'autre à faire. Bref. Une idée me traversa l'esprit et je repris, avec un sourire léger, loin de celui, charmeur, que j'aurais pu avoir habituellement. Je faisais dans le très soft. Sait-on jamais...

« J'y pense... Tu connais mon prénom, mais je ne connais pas le tien ! »

Le tout avec un regard légèrement mystérieux, juste à fondre quoi. Oui, je sais. Alex' tu triches ! Je sais j'ai dit ! Non mais des fois, la conscience, je vous jure ! Non mais ce n'était pas comme ci je pouvais m'en empêcher, voyez-vous. J'étais ainsi, et il fallait faire avec.

Dur de trouver une place en club, en région parisienne ? A vrai dire, je ne savais pas trop, il fallait dire déjà que j'avais plutôt peu monté et ensuite, j'avais été pistonné par une petite prodige de l'équitation, Camilla Deleska, qui était d'ailleurs ici. Celle-là, elle faisait partie de ce qui aurait pu s'apparenter à des mauvais souvenirs, avec cette vie de rue, ces galères totales. En tous cas, je ne regrettais vraiment rien puisque c'était des amis en or, que j'avais eu là-bas. Des amis pour lesquels j'aurais donné ma vie, tout en sachant qu'aucun ne m'aurait laissé tomber, quoi qu'il se passe. Alors, non, je n'avais pas de regrets. Après quelques secondes, retour à la réalité. Tranquille, je répondis.

« J'en sais rien, à vrai dire. J'étais pistonné. D'ailleurs, on ne m'aurait jamais laissé approcher un cheval, sinon. »

Est-ce que ça se voyait comme le nez au milieu de la figure que je n'étais pas le gars sympa, serviable, avec dix-huit de moyenne, le bac mention très bien et puis des fréquentations calmes, des activités paisibles, le type dont on n'entend jamais parler ? Non, moi j'étais le bagarreur, le voyou, celui qu'on vient chercher en cas de conflits et qu'on évite en cas de problèmes. Ça se voyait comme on voit la Tour Eiffel quand on est à ses pieds. Enfin voilà. Je continuais sur ma lancée. Et oui ! Parce que c'était bien beau, mais je ne savais pas comment elle s'appelait alors bon, c'était légèrement problématique ! Qu'à cela ne tienne, elle se présenta. Son prénom sonnait bien, et elle défendit d'ailleurs ses origines. Ce fut un sourire cette fois-ci un peu plus charmeur qui étira mes lèvres claires.

« C'est un beau prénom. Pas courant, mais très joli. Il te va bien, je trouve. »

Le tout dit sur un ton léger, avec le compliment sous entendu. Oui, je la trouvais jolie, cette fille. Et oui, je lui faisais du charme, mais ça s'arrêtait là, je n'étais pas d'humeur à jouer, là. D'un autre côté, elle entrait dans le jeu, je n'y étais pour rien ! Mais j'appréciais, ça, c'était sûr. J'étais le genre de mec à toujours jouer les charmeurs, et d'ailleurs c'était un peu la marque de fabrique Alex', ce demi-sourire juste à croquer accompagné de ce regard mystérieux, auquel le bleu allait si bien. Mais après, ça n'allait pas toujours plus loin. D'ailleurs, cette rencontre n'irait pas beaucoup plus loin, si vous voulez mon avis. Elisha était très agréable, et je l'aimais bien, d'emblée. On s'entendait plutôt bien, je trouvais. Et puis voilà !

Moi, froid ? Pas plus que cela, honnêtement. Il faisait genre tiède quand même alors j'avais par moments un petit frisson et basta, tranquille ! Je lui répondis donc avec bonne humeur.

« Non ça va, j'ai connu pire. »

Parce que vous pensez vraiment qu'il y a le chauffage dans les ruelles dans lesquelles j'ai passé le plus clair de ma jeunesse ? Assurément pas. Et généralement je n'avais pas la bonne grosse doudoune bien molletonnée sur le dos. Non non, un simple sweat-shirt et basta. En plus avec le jean usé voire troué, il faisait pas bien chaud sur le bonhomme si vous voyez ce que je veux dire ! Donc là, je n'avais pas chaud, loin de là, mais dire que j'avais froid c'était un peu gros.

Puis il y eut la voix de Natasha St Pier, se qui eut pour conséquences un regard écarquillé par la surprise de ma part. Non mais ce n'était pas des masses courant quoi. Surtout qu'Elisha décrocha et s'excusa avant de sortir de la pièce. J'avais beau être dans l'encadrement de la porte, ne croyez pas, je m'effaçais de sorte à ce qu'elle puisse sortir sans avoir besoin de se contorsionner pour m'éviter ! Le fait qu'elle me frôle ne déclencha pas de grandes réactions chez moi. Non mais il ne fallait pas abuser non plus, elle était mignonne et ça s'arrêtait là, hein. Et puis ne me prenez pas non plus pour ce que je ne suis pas. Je suis un mec plutôt posé quand je ne suis pas trop aux taquets comme maintenant. Bon, parfois je suis beaucoup moins fréquentable mais passons.

Elle s'était excusé et j'étais resté un peu comme un con en fait. Je passais une main sur ma nuque, genre en plein dilemme. J'attendais ou je m'éclipsais ? Non mais parce que je n'étais pas sur qu'elle revienne quoi. Il y avait des personnes qui se servaient du prétexte d'un appel téléphonique pour pouvoir se carapater en douce. Comment ça je parlais en connaisseur ? Ben non ! Enfin si mais chut ! Et rarement avec une fille, sauf quand elle était trop collante et qu'elle voulait quelque chose que je ne voulais pas. Enfin, je me comprenais, vous me comprenez aussi hein ? J'avais donc pris la décision de ne pas me tailler. Non, à la place j'avais choppé une brosse douce bien propre pour enlever le sable trempé qui me collait à la peau. Vous avez vu mon jeu de mots tout pourri ? Ahah.

Finalement, lorsque la jeune femme revint, j'étais presque totalement débarrassé de ce truc blanc et collant tout trempé. Elle avait l'air furieuse et aussi ses cheveux donnaient l'impression qu'elle avait couru pendant tout le temps où elle était sortie. Ou alors il y avait de l'orage dans l'air. En tous cas, cela faisait l'effet de l'électricité statique. Je la regardais, l'air calme en m'appuyant contre le mur, accoudé sur un porte-selle – pourvu qu'il ne tombe pas !

« Contrariée ? »

Toujours ce même semblant d'assurance inébranlable, ce sourire emprunt de bonne humeur et tout à fait charmant aux lèvres, ce regard d'azur à la fois mystérieux et interrogateur dans un mélange qui m'était propre. Oh, des mimiques, oui, j'en avais, et j'étais unique en mon genre.

Et la jeune femme rentra de nouveau dans la pièce, après un moment. Je lui demandais si elle était contrariée et elle me répondit plutôt sèchement. OK... Un éclair sombre passa dans mon regard d'azur et mes muscles se tendirent légèrement tandis que je perdais cette expression plutôt agréable. Mon sourire s'évapora quelques peu. D'un gars complètement ouvert et sympa, j'étais passé en une fraction de seconde à peine à un mec moins abordable, plus neutre. Si elle comptait me parler sur ce ton là, moi, je pouvais aussi jouer les désagréables, je vous prie de croire que je savais très bien le faire. Je ne répondis pas à sa question rhétorique passablement peu aimable.

Enfin, elle s'excusa. C'était bien beau, mais il en faudrait un peu plus pour que mon sourire revienne, pour le coup. Je rappelle seulement que j'essayais d'être sympa avec une fille que je venais tout juste de rencontrer et cela sans idées ambiguës derrière la tête. Et voilà qu'on m'aboyait dessus, mais alors là, c'était le pompon – et pas de Kessedag. Je m'efforçais néanmoins à esquisser de nouveau un sourire.

« C'est rien. »

Je fis un geste assez évasif d'une main, genre je m'en foutais, et ma deuxième main glissa sur le porte-selle, résultat mon appui s'était dérobé et j'avais manqué de m'étaler au sol. Rattrapage de dernière minute point com. Alors là, la classe internationale quoi... Je bredouillais. Ouais, et elle elle s'occupait à autre chose. Donc dans la logique, je n'allais pas rester là planté comme un con encore longtemps.