Et le jeu cessa comme par enchantement. C'était plus simple. Parce que Sam', mine de rien, je la connaissais par cœur et je savais pertinemment que de toute manière elle ne me lâcherai pas tant qu'elle ne serait pas au courant de mon effroyable secret. Je la laissais donc découvrir mon studio. Bon, c'était sobre, mais c'était chic quand même, et puis bon, les bibelots valaient une petite fortune parce que styliste ça paye et que j'en profitais. Aux murs, pas de photos de patineur, juste la famille, les amis, le tournage. Je me mis derrière les fourneaux, j'avais une recette bien en tête. J'attaquais donc la préparation, rapide, mais ce serait quelque chose de goûteux. Émincée de champignons frais, carottes façon vichy, pâtes aux œufs al dente et le tout repassé à la poêle avec des lamelles de dinde... Une petite sauce dont je ne vous donnerais pas la recette... Lorsque Sam' me demanda ce que je préparais, je lui répondis avec un sourire énigmatique et enjôleur à la fois:

« Emincée de dinde et de champignons accompagnée de ses pâtes et petites carottes croquantes. »

Un véritable maître d'hôtel. Je songeais qu'une salade serait peut-être la bienvenue pour accompagner cela, j'avais une mâche dans le frigo, il n'y avait qu'à la préparer et l'assaisonner... J'attrapais une tête d'ail dans un peau, quelques herbes... Un cuisinier chevronné! J'épluchai l'ail, le ciselai avec les herbes, grillai le tout un instant à la poêle tandis que surveillais ce que j'avais déjà en route. J'entendis alors Samantha me proposer de l'aide et je dois avouer que ce fut volontiers que j'acceptais:

« Mhhh, ça m'arrangerait si tu pouvais préparer la mâche... Elle est dans le frigo, je prépare la vinaigrette. »

Tout allait comme sur des roulettes et dix minutes plus tard, il ne restait plus qu'à mettre la table et à servir. Ce que je fis sans attendre avant d'aller chercher une bouteille de vin. Je l'ouvris et en proposais à la demoiselle avant de lui souhaiter:

« Bon appétit! »

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Le jeu n'était plus aussi agréable que dans mes souvenirs. Plus tôt, c'était moi qui fuyais, et désormais c'était Samantha qui évitait de croiser mon regard. Bon sang, ça allait durer longtemps, ce cinéma? Je faisais en sorte de justement apaiser la situation, puisque je m'apprêtais à faire un douloureux pas en avant pour lui montrer l'étendue des dégâts, et le pourquoi du comment de l'intégralité ou presque de mes changements. Mais, je le sentais, Samantha me fuyait, purement et simplement. Si pour ma part j'avais émis quelques réserves, désormais je la sentais aussi loin que si nous étions de parfaits inconnus. Nous passâmes à table dans un relatif silence, même si j'avais un sourire léger, pour essayer de faire bouger un peu la situation, en toute finesse. Je servis un verre de vin à Samantha avant de commencer à manger. Comme toujours, j'étais plutôt songeur, jusqu'à ce qu'elle me pose une question, à la quelle je répondis directement.

« C'est vrai. Mais pour beaucoup, ça vient du fait qu'on ait changé, tous les deux, et que de l'eau est passée sous les ponts. Et puis aussi que j'ai beaucoup, beaucoup changé, m'enfin, tu comprendras bien assez tôt. »

Demi-sourire, regard vagabond. Je mangeais à peine. A vrai dire, l'idée de ce qui allait suivre me coupait l'appétit. Revenir sur mes blessures, sur mon échec... C'était dur, et j'appréhendais, je l'avoue, la réaction de Sam' quant à tout cela. Je bus une gorgée de vin, avant décréter que c'était assez attendre. J'étais, au fond, sur des charbons ardents.

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Pourquoi nous n'avions pas repris où nous nous étions arrêtés? Je ne savas même plus où nous étions nous arrêtés. Est-ce que je l'aimais encore, quand nos chemins s'étaient séparés, s'agissait-il d'une rupture de l'un, de l'autre, d'un commun accord ou simplement d'un départ sans un mot? Les choses de notre passé étaient difficiles à démêler, parfois. Surtout les choses de cette belle époque, pourtant tout à fait révolue. Ah, qu'il était loin le temps de l'insouciance où le succès me souriait à chaque pas.

« J'en sais rien. Peut-être parce qu'on était des gamins, et qu'on est des adultes, aujourd'hui, qu'on essayait de ne pas commettre d'erreurs. »

Qu'est-ce que tu nous racontes Nathanaël de Rickems? Non mais parfois il ne fallait pas chercher. Puis Samantha s'assura que j'étais certain de vouloir lui faire voir ce DVD. J'hochais la tête. Oui, il le fallait, c'était nécessaire. J'étais incapable de mettre moi-même les mots sur ce traumatisme qui m'avait volé ma santé. Mon corps entier protestait souvent, lorsque je voulais bouger un peu plus que d'habitude, par exemple. Je ressentais encore les douleurs de mon dos. Parfois, j'avais l'impression que mes jambes ne me porteraient plus jamais. Et le pire, c'était les éclairs de souffrance qui me vrillaient, lors d'un mouvement trop brusque, comme par surprise. Bref. Ce murmure et le baiser l'accompagnant me décrocha un sourire. Je passais la main sur la joue de Sam', avant de la regarder droit dans les yeux, une lueur charmeuse dans le regard.

« Je sais. Moi aussi, je serais toujours là pour toi. Quoi qu'il arrive. »

Par cela, j'entendais surtout "même cloué dans un fauteuil roulant", parce que ça me pendait au nez. Je me levais donc, prenant sa main pour l'entraîner presque joyeusement dans le salon. Bon, c'était certain que ce n'était pas si joyeux que cela mais j'essayais de faire bonne figure. Il fallait que je me ressaisisse, que je reste au moins neutre dans cette histoire. Il était temps que j'affronte mon passé. Je mis donc rapidement le DVD avant de m'asseoir dans le fauteuil, m'attendant à ce que Sam' fasse de même. La musique, classique, démarra sur des lumières basses. Ma musique. Celle dont je connaissais les moindres accords. Le Boléro de Ravel. Un rythme qui collait à la perfection aux mouvements souples et élégants d'un jeune patineur, sur la piste ; moi, quelques années plus tôt. L'enchaînement courait. Serpentines, vrilles, pirouettes... Je n'étais qu'étincelles tournoyantes.

Par moment, une critique murmurée s'échappait de mes lèvres. Je n'avais pas pu patiner depuis des lustres, mais je connaissais toujours aussi bien ma passion. La chorégraphie se déroulait, les imperfections étaient minimes, il n'y avait qu'un perfectionniste de ma trempe pour les apercevoir. Je connaissais tellement par cœur ce que je voulais obtenir que s'en était resté gravé dans ma mémoire. La voix du speaker m'arracha un sourire mélancolique. Je lançais un rapide regard à Samantha, qui ne devait pas vraiment comprendre pourquoi je lui montrais cela. Puis dernière figure. Une splendide aérienne, ma spécialité. Mon ticket pour la victoire, en ces championnats d'Europe. Le titre était à ma portée. Et là ; je vis l'erreur fatale, la micro seconde d'inattention. J'avais touché les deux lames ensembles et elles s'étaient coincées. Il fallait vraiment manquer de chance, pour cela. Et ce fut la chute. Je ne m'attardais pas sur le reste de la vidéo, coupant le DVD, le cœur battant un peu la chamade. Je l'avais vécu comme à la première seconde. Un sourire triste étira mes lèvres.

« Et depuis cette finale des championnats d'Europe, je suis cloué au sol comme si on m'avait coupé les ailes. J'ai rechaussé les patins pour la première fois aujourd'hui. Contre avis médical, bien sûr, puisqu'il parait que je suis définitivement brisé. Je soupirais. Allez, soyons plus gais, veux-tu? »

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Cette larme, qui roula sur sa joue... Non, je refusais de la voir. Je l'essuyais tendrement avec le dos de l'index, tout doucement, lui souriant, l'incitant à faire de même. Et enfin elle dénota le « quoi qu'il arrive ». Elle sembla s'en inquiéter. Elle me demanda le pourquoi de ce petit bout de phrase. Je détournais une seconde le regard. J'attendis avant de lui répondre. C'était plutôt dur. Je ne le fis donc qu'à demi-mots.

« Quoi qu'il advienne. Quoi que la vie nous réserve. Quelques soient nos choix. C'est aussi simple que cela, je serais toujours là pour toi. »

Et enfin, cette magie devant nos yeux. Et ce craquement, auquel la jeune femme eut un bruit de surprise. Elle ne devait pas vraiment s'y attendre. Elle resta interdite un court laps de temps, avant de se lever et de passer ses mains autour de ma taille. Je fis de même d'un bras, ma main libre jouant dans ses longs cheveux. Je gardais un demi-sourire. C'était quand même dur d'afficher la mine la plus joyeuse du monde. Mais je faisais des efforts. Je lui répondis avec amusement.

« Et mais mademoiselle, si on t'empêchait de jouer de tes charmes, est-ce que tu obéirais sagement ? Je sais que je prends des risques, je suis conscient des possibles conséquences. Le prochain accident, que ce soit à patins, à cheval, en voiture, à pieds ou en sortant de mon lit, les prochaines atteintes au niveau de mon dos, c'est le fauteuil. Alors je ne vais pas attendre d'être coincé pour vivre. Tu me comprends, n'est-ce pas ? Même si je ne peux plus autant patiner, j'ai besoin de sentir la glace, c'est aussi simple que cela... »

C'était doux, c'était calme. C'était ma défense, c'était ma parade. Mais avec Samantha, c'était trop simple. Je lui faisais trop confiance. Je l'appréciais trop, aussi. Qu'est-ce qui me prenais de dire ou ne serait-ce que de penser cela ? Il y avait longtemps que je n'avais pas autant remis ma vie en question, que je n'avais pas autant réfléchi à mon avenir. C'était des questions enfouies, mais qui remontaient à la surface quand je voyais le beau visage de l'italienne. Peut-être parce qu'elle faisait remonter des souvenirs de mon passé. Ou alors parce qu'elle me faisait un effet que je refusais d'avouer..? Quoi qu'il en soit, elle proposa un cinéma. Mhhh... Assez mitigé...

« Mhhhh, je sais pas... Qu'est-ce qu'il y a comme films en ce moment ? Ah et tant que t'es là... J'ai besoin d'un avis féminin sur un truc sur lequel je bosse depuis quelques temps. »

Il s'agissait d'une commande d'une pièce unique que je traitais moi-même et honnêtement, on n'est jamais content de son résultat. Alors il allait me falloir un coup d'œil à la fois critique mais pas compétitif. Non mais parce que les collègues, c'était bien beau, mais eux, leurs pièces, ils ne les vendaient pas quand c'était moi qui décrochais le contrat...

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