Les ombres du passé m'encerclent, m'assaillent. Le présence est invivable. A chaque secondes, elles me rappellent le bon temps, les petits plaisirs. Et à chaque secondes, elles me rappellent ce que j'a perdu en une fraction de cette éternité qu'il me reste à vivre ainsi...

Six ans. Six ans depuis cet accident. Six ans que je n'avais pas rechaussé les patins, mon destin brisé. Et je tournais la page, d'une certaine manière. Fini le patinage artistique, ce serait désormais l'équitation. Enfin, pour ce que je pourrais faire... Je serai incapable de monter. Les élancements de mon dos ne se calmaient que rarement, même si je les supportais désormais comme on supporte une chemise en hiver. Mais je n'avais plus le droit à l'erreur. Encore une fois, une seule fois où mes pensées vagabondes me feraient défaut et je serai cloué à vie dans un fauteuil roulant, mon imaginaire et ma liberté d'expression naturelle bridés à jamais d'avoir trop vécu avant.

Il m'aurait fallu cette installation à Etretat, ce nouveau poste de styliste dans une boutique et pas mal de réflexion pour sauter le pas. Je voulais savoir si je serai de nouveau capable de me faire plaisir. Alors, prenant mon courage à deux mains, j'avais enfilé une tenue décontractée avec laquelle j'aurai très bien pu travailler mes enchaînements, quelques années plus tôt, - sans que ce soit une tenue dédiée au sport - ainsi qu'un sweat-shirt à capuche. Je n'avais encore rien récupéré, de mon passé glorieux. Mais il fallait que je sache à quel point j'étais amoché. En six ans, je n'avais rien testé.

La patinoire était déserte. La matrone qui siégeait derrière le comptoir semblait surprise de voir quelqu'un qui venait patiner. Ainsi, je serai seul, un peu au moins. Légèrement anxieux, j'enfilais les patins, sur le bord de la glace. Je pris quelques secondes avant de m'avancer sur l'instable couche gelée. Puis, avec la légère aisance que donnait l'habitude, je me mis à avancer sur la piste. D'abord avec hésitation et lenteur, puis avec de plus en plus d'assurance, accélérant jusqu'à un rythme léger. Tout allait bien. Je commençais à ressentir le bien qui caractérisait toujours mes moments de calme et de sérénité. Je ne ressentais pas de douleurs insupportables, bien que mes muscles dorsaux tiraient. Au diable! Je prenais trop de plaisir pour m'arrêter ainsi. Un sourire au lèvres, je m'amusais de quelques figures simples et sans danger, heureux de sentir que je n'avais pas tout perdu. Je finis néanmoins par m'arrêter sur le bord, pour reprendre quelques peu mon souffle. Ah, physiquement, ce n'était plus ça!

Les ombres du passé m'encerclent, m'assaillent. Le présence est invivable. A chaque secondes, elles me rappellent le bon temps, les petits plaisirs. Et à chaque secondes, elles me rappellent ce que j'a perdu en une fraction de cette éternité qu'il me reste à vivre ainsi...

J'étais dans mon élément. Je patinais, aussi souplement que possible, enfin, ce n'était toujours pas ça quoi, parce que bon... Ce n'était plus ça du tout, c'était fini pour moi, cette grâce, cette façon de patiner de manière aérienne. Pourtant, je n'avais pas remarqué l'arrivée de la jeune femme, trop absorbé par mes mouvements saccadés. Ce ne fut qu'une fois que je m'étais arrêté, à bout de souffle, les muscles déjà raides, que j'avais remarqué la jeune femme. D'ailleurs, elle m'interpella et je tournais rapidement la tête vers elle, visiblement surpris. Un sourire se dessina alors sur mon visage.

« Samantha! Ça alors, je n'aurai jamais cru te croiser ici! »

Bon, d'accord, c'était sans doute aussi le cas pour elle, qui n'aurait jamais imaginé me croiser par ici. Enfin bref, heureuse coïncidence de rencontrer ici la jeune actrice avec laquelle j'avais flirté, voilà neuf ans. A l'époque, tout allait... Bien? Oui, sûrement. Je patinais encore avec souplesse, j'étais encore un virtuose sur la glace, je n'étais pas encore champion de France... Nous étions encore deux adolescents. Je me souvenais de nos échanges - professionnels, enfin, au début au moins - sur la glace. Mon regard rêveur vola jusqu'à l'autre bout de la piste, un demi-sourire étirant mes lèvres. Finalement, je regardais de nouveau la jeune femme avec un sourire léger.

« Qu'est-ce que tu deviens? »

En même temps, je lui tendis d'un geste ample et - et oui, miracle! - gracieux la main, dans une invitation à patiner, tandis que je m'étais retourné, patinant en marche arrière, lentement. C'était assez difficile et mon équilibre n'était plus terrible, alors imaginez à un rythme riquiqui ratatiné... Compliqué compliqué tout cela! Pourtant, j'étais plutôt déterminé à tout tenter. J'avais besoin de patiner encore, de pouvoir de nouveau m'envoler. Vous savez, cette sensation qu'ont les cavaliers lorsqu'ils montent leur complice? Cette impression de liberté, d'illimité, malgré les barrières toutes proches. C'était ce que je ressentais sur la glace, simplement tout était fini, le rêve était fini, mon destin brisé. Mais, pour l'instant, je pouvais l'oublier. Pour l'instant, le rêve semblait intact. Avec un peu d'entraînement et de chance, peut-être que..? Non, c'était impossible. Et pourtant, je m'accrochais à cet espoir comme à une bouée. Bref. Toutes ses pensées avaient fusé dans mon esprit imaginatif. Ainsi, ce ne fut qu'une légère ombre qui passa sur mes traits, tandis que je regardais toujours l'actrice.

Les ombres du passé m'encerclent, m'assaillent. Le présence est invivable. A chaque secondes, elles me rappellent le bon temps, les petits plaisirs. Et à chaque secondes, elles me rappellent ce que j'a perdu en une fraction de cette éternité qu'il me reste à vivre ainsi...

Je me souvenais de Samantha comme une jeune fille, une adolescente joyeuse et vivante, très agréable, sur laquelle beaucoup de pression avait reposé longuement. Et oui, les difficultés du métier d'actrice! Pour moi, même si, à l'époque, je suivais une voix redoutablement exigeante; celle du patinage. Mais mes facilités, ma passion, mon plaisir rendaient le tout excessivement facile pour moi. C'est pour cela que le sourire de la jeune femme me faisait plaisir. Je ris légèrement à ce qu'elle ajouta ensuite.

« Non, je suis plutôt content d'ailleurs. Ça fait un bail. »

Ensuite, elle me répondit sur ce qu'elle devinait. Au mot convalescence, je me raidis légèrement, ratant plus au moins mon mouvement de recul et manquant de peu de m'écraser, le tout dans un soupir bruyant. Alors là la discrétion... J'essayais de reprendre constance. Je lui souris en retour lorsqu'elle me rejoignit. Elle aussi avait les mouvements un peu raides. Je lui répondis avec calme, l'air un peu ailleurs.

« Je me suis installé comme styliste à Etretat. «

J'avais bien entendu passé sous silence mon accident et la fin de ma carrière de virtuose. Certes, mes mouvements étaient difficiles mais... On pourrait toujours mettre cela sur un manque de pratique, à cause de mon métier prenant peut-être, de mes études sûrement. Je lui tournais tranquillement le dos, pour patiner légèrement plus vite, un peu plus fluidement aussi peut-être, en marche avant, jusqu'à ce que la jeune femme rit et que je me retourne vers elle, remarquant sa chute. Je ne pus m'empêcher de rire en allant l'aider à se relever, car, apparemment, elle n'y arrivait pas seule. Je lui tendis la main, songeant en même temps que mon dos n'allait peut-être pas spécialement apprécier... Après tout, ça dirait déjà fichtrement fort...

Et crac. Je l'avais parié. J'avais tiré, pour permettre à l'actrice de se relever, prêt à la recevoir dans les bras pour lui éviter de passer de l'autre côté au cas où j'aurai mis trop de force lorsqu'une douleur aiguë traversa mon dos. Je serrais les dents, sous l'éclair qui traversa ma colonne vertébrale. Je restais immobile un instant, en respirant doucement et le tout passa lentement, me laissant juste une tiraillement le long du dos. Bon, et bien avec tout cela, vive le naturel...

Les ombres du passé m'encerclent, m'assaillent. Le présence est invivable. A chaque secondes, elles me rappellent le bon temps, les petits plaisirs. Et à chaque secondes, elles me rappellent ce que j'a perdu en une fraction de cette éternité qu'il me reste à vivre ainsi...

Bien entendu, Sam' avait compris que quelque chose clochait et elle cherchait à comprendre quoi... Ah, la bonne blague. Quelque chose qui clochait? Et bien, juste que le mot convalescence et moi... Disons que cela devenait incompatible avec moi, maintenant que ma convalescence m'empêchait de patiner. Je ne répondis pas, annonçant plutôt mon nouvel emploi et là, ce fut le drame. Mon imaginaire habituel m'avait abandonné et j'étais pour une fois un peu trop concentré sur la réalité. J'essayai de garder un semblant de sourire et de prendre un ton léger pour répondre, avec une apparente décontraction:

« La vie en a décidé autrement... Après le titre de champion de France, j'ai rapidement raccroché les patins. »

Contre mon gré, certes. Mais il y avait des choses qu'il était bon ne pas dire. Surtout que je ne voulais pas qu'elle s'apitoie sur mon sort. Je m'étais presque accoutumé à cette vie changée depuis six ans... Et puis, de toute manière, je n'aurai pas pu le changer, quoi que je veuille faire... Ainsi, ce fut mon petit tour de prince charmant et elle atterrit dans mes bras, à mon grand plaisir, je devais l'avouer, et en même temps la douleur monta. Finalement, ce fut Sam' qui me soutint, le temps que cela passe. Elle me proposa qu'on aille s'asseoir et, avec un sourire, je lui répondis:

« Non, ça va, ne t'en fais pas. »

Je me remis doucement à patiner, légèrement, l'entraînant lentement derrière moi. J'étais un peu raide mais, au moins, la douleur était passée. Je serais un peu les dents pour tel ou tel mouvement qui ne m'allait pas, mais un sourire éclairait sans cesse mon visage tandis que, en équilibre stable sur les patins, j'avançais.

Les ombres du passé m'encerclent, m'assaillent. Le présence est invivable. A chaque secondes, elles me rappellent le bon temps, les petits plaisirs. Et à chaque secondes, elles me rappellent ce que j'a perdu en une fraction de cette éternité qu'il me reste à vivre ainsi...

Bon, d’accord, j’avais été assez peu convaincant. Mais je n’y pouvais rien, moi. Ce n’était pas mon métier. J’avais été patineur dans ma jeunesse et j’étais désormais styliste. Alors tant pis si le jeu ne prenait pas, je n’y pouvais plus rien. Lorsque la jeune femme me demanda pour qui je travaillais désormais, j’eus un sourire amusé.

« Une ligne de prêt-à-porter masculin établie à Etretat. »

Je préférais rester un peu flou là-dessus. Parce que bon, mine de rien, mon travail importait assez peu, surtout que ce n’était pas le styliste qui comptait, mais que le modèle plaise. Et puis voilà. Sur ce, je lui assurais – après ce que vous savez – que ça allait et que je pouvais continuer à patiner. Ce qui était un peu faux, certes, mais je ne pouvais pas lui dire que j’étais brisé, que j’étais fini et que je devais m’arrêter, ne jamais remonter sur des patins sous prétexte de me paralyser. Comment avouer qu’à cause d’une seconde de mon inattention légendaire j’étais tombé et que j’avais failli ne jamais me relever ? C’était impossible.

Ainsi, nous patinâmes tous les deux. Tout me tiraillait, me rendait les mouvements douloureux, et pourtant… Pourtant je continuais, m’y accrochant comme un noyé à sa bouée. En fait, la douleur n’était pas si terrible, au final. Elle n’était présente que pour certains mouvements, durant lesquels elle était pourtant violente. C’est ainsi que je continuais d’enchaîner à un rythme tranquille des figures simples, banales. Trop simples, trop banales… Je m’ennuyais presque, mais je me savais incapable de plus, pour le moment. C’était donc avec ravissement que j’évoluais sur la glace, trop heureux d’être néanmoins capable de continuer d’évoluer dans mon élément. Samantha finit par s’arrêter et je fis de même, moi aussi essoufflé.

« Ça a l’air pire quand on n’a pas pratiqué depuis longtemps. Je suis raide comme un piquet… »

Bien entendu, je finis par entendre les applaudissements. Je maugréais, mécontent. Eh bien oui ! J’avais mal patiné, alors être applaudit pour cela… Je regardais néanmoins Samantha, avant de lui répondre, un sourire aux lèvres.

« Tu as bien patiné, oui. »

Sourire ironique, certes. Par cela je disais à quel point j’étais déçu de ma propre prestation. Raide, sans aucune grâce, sans aucune fluidité. J’étais à bout de souffle, les muscles raides. D’ailleurs, je sentais venir les courbatures. Alors soit on continuait de patiner, soit j’allais faire quelques étirements avant de rentrer. Et bizarrement, j’avais tout sauf envie de rentrer. C’est ainsi que je repris gaiement :

« Tu te souviens sur le tournage, le jour où on a fait la première prise ? »

C’était juste que j’avais été très distrait avec les caméras et que j’avais assez mal patiné, quoi que mieux qu’aujourd’hui, huit longues années plus tard. C’est ainsi qu’en regardant derrière moi, j’étais entré plus ou moins en collision avec Sam’. Oh, rien de très violent, mais c’était juste que c’était une première vraie rencontre un peu brutale en somme. Nous avions parlé plus d’une fois de cette rencontre et, à chaque fois, c’était avec amusement. Tout en parlant, j’avais recommencé à patiner en cercles larges autour de Sam’, le plus fluidement possible.

Les ombres du passé m'encerclent, m'assaillent. Le présence est invivable. A chaque secondes, elles me rappellent le bon temps, les petits plaisirs. Et à chaque secondes, elles me rappellent ce que j'a perdu en une fraction de cette éternité qu'il me reste à vivre ainsi...

Bon, d’accord, j’avais fait dans le vague pour mon travail, et cela devait avoir embêté Samantha. D’accord, d’accord, j’avais exagéré à rester évasif comme cela, mais bon, je n’avais pas trop envie de m’étaler sur cette vie qui voulait dire que tout avait changé désormais. Je n’étais plus patineur, j’étais styliste. Certes, j’avais entamé mes études dans le milieu de la mode bien avant mon accident, mais je n’aurai pas eu à m’installer si j’avais continué de patiner. Ce diplôme ne devait qu’être qu’une roue de secours. Pas les roues d’un fauteuil roulant. D’accord, d’accord, je marchais toujours, mais la paralysie me pendait au nez si je continuais à me jouer de mon corps ainsi.

Samantha me sortit de mes réflexions, mais je dus faire un effort colossal pour ne pas m’assombrir encore plus. J’étais plus que rouillé. J’avais été démonté et mal remonté, avec des pièces usées qui se grippaient et risquaient de casser, entraînant des dégâts irréversibles. Je lui répondis, préférant un brin d’arrogance que de me laisser aller à plomber les morals :

« C’est même plus être rouillé, à ce niveau-là. Ca me conforte dans mon choix d’avoir raccroché les patins. »

Certes, il y avait de l’animosité dans mes paroles, mais ce n’était pas contre Sam’, dont j’évitais soigneusement le regard, histoire de reprendre contenance. Ce fut assez rapide, aux vues de la suite de la conversation. Rien que l’évocation de ce souvenir me mit le sourire. Bien entendu, c’était un très bon souvenir, un gadin mémorable, digne d’un bêtisier, mais qui avait bien fini car de un nous ne nous étions pas blessés et de deux nous avions fini par parler ensemble, puis flirter, sans oublier une courte relation, un peu genre one-night sur un tournage. Ce qu’ajouta la brune me rendit perplexe. Mais après tout, nous n’avions gardé aucun contact après, et je n’avais pas spécialement suivi sa carrière ni sa vie privée, alors je ne savais pas ce qui avait bien pu se passer. Tout comme elle ne semblait pas au courant de mon accident. Je préférais ne pas relever, ayant juste un sourire assez équivoque.

Alors que nous patinions de nouveau, en cercles distincts, la jeune femme posa LA question à laquelle je ne m’attendais pas du tout. C’est ainsi que je me retournais vivement, avant de me prendre la lame d’un patin dans l’autre, de glisser, de perdre mon équilibre pour finalement me retrouver sur les fesses, les yeux écarquillés par l’étonnement. Qu… Quoi ? C’était quoi la question-là ? Bon, d’accord, j’avais eu une réaction un peu exagérée peut-être, mais j’avais juste été désarçonné par sa question naturelle. Je finis par me mordre la lèvre pour ne pas rire tout en me relevant relativement facilement, enlevant la glace de mon jean. J’allais exploser de rire sous peu si je ne m’occupais pas. C’est pour cela que, immobile, je lui répondis avec un sourire tout ce qu’il y avait de plus amusé.

« Désolé, c’est juste que… Je ne me rappelais plus à quel point tu pouvais être spontanée..! »

Je me remis à patiner, passant une main dans mes cheveux, avant de me tourner vers elle, patinant en arrière, cette fois sans me rater, ce qui était mieux. Ayant retrouvé un semblant de sérieux, je répondis à la question qui m’avait renversée peu avant.

« Pour répondre à ta question… Je suis actuellement célibataire. Enfin, tu sais ce que c’est, les artistes… Libres comme l’air, qui ne supportent pas les attaches… J’aime bien me penser artiste dans ma catégorie. »

Demi-vrille sur mes patins, retrouvant le sens de marche normale pour quelques pas, puis de nouveau demi-vrille, profitant ainsi de la vitesse prise. Avec un sourire un brin charmeur, je regardais Sam’ avant de reprendre :

« J’imagine que tu posais cette question en tout bien tout honneur ? Et toi ? »

D’accord, je la taquinais. Mais bon, il fallait bien que je trouve un moyen de ne pas me déconcentrer totalement.

Les ombres du passé m'encerclent, m'assaillent. Le présence est invivable. A chaque secondes, elles me rappellent le bon temps, les petits plaisirs. Et à chaque secondes, elles me rappellent ce que j'a perdu en une fraction de cette éternité qu'il me reste à vivre ainsi...

Oui, en effet, je lui cachais quelque chose. Mais si je le cachais, c'est que je ne voulais pas qu'elle le sache. Logique, je sais. Mais j'espérais donc, et c'est là que je voulais en venir, qu'elle ne chercherait pas à savoir quelle était cette chose que j'avais à cacher. Car c'était terrible, horrible pour moi: mon accident, qui avait signé prématurément la fin de ma glorieuse carrière et qui m'avait laissé d'importantes séquelles. J'étais coincé à vie dans un monde où je n'existais pas, où je n'étais qu'un nom parmi tant d'autres et où, même dans mon métier où nous étions peu, je n'étais personne, même pas un nom là. Je rongeai ma colère à petit feu, ne voulant en aucun cas inquiéter ou embêter Samantha. C'était mon problème, pas le sien, après tout.

Hum, comment dire? Moi non plus je ne m'attendais pas à ce que je réagisse aussi vivement... C'était excessivement démesuré, j'en étais conscient. Mais ce n'est pas comme si je l'avais fait exprès non plus. Il s'agissait juste d'une erreur de déconcentration. Comme six ans en arrière, à vrai dire. La concentration, toujours la concentration... C'était bien la seule chose qui m'empêchait d'attendre des sommets, car elle avait brisé ma carrière. Mais j'étais toujours aussi dissipé, peut-être plus encore aujourd'hui. C'est ainsi que, avec une petite moue, je répondis à Sam':

« Je dois t'avouer que je ne m'y attendais pas moi-même... »

Je savais aussi, par expérience, que lorsqu'un poids plus lourd se trouvait au sol et qu'on essayait de le relever, on se retrouvait généralement au sol avec ou, parfois, à sa place. C'est une des raisons pour laquelle je ne m'aidais pas de la main tendue par la jeune femme pour me relever. En plus de cela, j'aurai forcé une fois de plus sur mon dos et cela aurait pu être catastrophique. Je préférais donc me débrouiller par moi-même, même si j'accueillis cette proposition d'aide avec un sourire charmant.

« Ça va oui. Juste quelques neurones à remettre en place... Y'a qu'à patiner! »

Ce que je fis bien entendu, trop heureux de quand même retrouver quelques sensations. Il fallait que je m'y remette, vraiment, j'allais devenir fou sinon. Et tant pis pour ce que les médecins avaient dit, je préférai rester handicapé à vie plutôt que de ne même pas tenter ma chance de patiner de nouveau. Et si j'étais un soupçon chanceux, il ne m'arriverait rien. Ce serait quitte ou double, d'accord, mais je voulais pouvoir croire en ma chance, vraiment. C'était de toutes manières ma dernière chance, alors autant ne pas la laisser filer. A vingt-cinq ans, j'étais certain de pouvoir reprendre le dessus. Et puis physiquement je pouvais encore m'y remettre, chose impossible lorsque j'aurai quarante ou cinquante ans.

« Mieux vaut douter que de se jeter dans la gueule du loup. »

Oh, il ne fallait pas qu'elle cherche à comprendre... Mais oui, j'étais un peu... méfiant sur ce point-là. Parce que, après tout, je savais très bien ce qu'il s'était passé entre nous. Cela n'avait rien de déplaisant, non, loin de là! Mais cela me rappelait aussi une période heureuse de ma vie, avant mon accident, avant que tout ne bascule. Oh, ne pensez pas que je sois changé, après cet accident. Je n'étais aussi amer que sur la glace, parce que cela me rappelait mes plus grands plaisir. Dans la vie de tous les jours, j'étais plutôt égal à moi-même, un esprit un peu à part, avouons-le.

Et là, ce fut le drame. Panique, angoisse, tout le toutim, contenu dans une expression qui se voulait plutôt neutre. Recommencer cet enchaînement? Je me rappelais de chaque temps, de chaque mouvement, comme si, pour la dernière fois, je l'avais répété hier. Mais cela faisait huit ans. Si je n'avais pas eu ce stupide accident, oui, j'aurai refais avec plaisir cet enchaînement. Mais je ne m'en sentais plus capable, au jour d'aujourd'hui. Mes mouvements paraissaient secs et saccadés, les quelques sauts qui y étaient inscrits n'étaient plus à ma portée. Pas en l'état, en tout cas.

« Je suis désolé, mais j'en suis incapable. »

Les mots étaient lourd de sens. Je m'étais planté. Je n'étais plus capable de tout cela. Et j'étais vraiment désolé. J'évitais ensuite le regard de Samantha. Qu'allait-elle penser?

Les ombres du passé m'encerclent, m'assaillent. Le présence est invivable. A chaque secondes, elles me rappellent le bon temps, les petits plaisirs. Et à chaque secondes, elles me rappellent ce que j'a perdu en une fraction de cette éternité qu'il me reste à vivre ainsi...

J'allais sérieusement songer à me taire. Mais qu'est-ce que j'avais bien pu dire là? Une baffe mentale pour un garçon qui ne réfléchit pas assez, bien trop rêveur pour cela. Lorsqu'elle me demanda ce que cela voulait dire, à vrai dire, je n'en savais strictement rien. Je n'étais moi-même pas sûr du tout de ce que j'avais souhaité dire. Je me contentais d'un haussement d'épaules.

« Si tu cherches à comprendre tout ce que je dis, tu me prendras rapidement pour un fou. »

L'étais-je? C'était fortement probable. Tous les artistes sont à la fois des enfants dans l'âme et des gens un peu fous. J'étais un artiste. Hier, mon art s'exprimait sur la glace, où j'avais ce quelque chose d'irréel qui m'avait emmené au sommet. Aujourd'hui, j'exprimais mon talent et mon imaginaire sur mes créations vestimentaires. C'était un bon moyen d'extérioriser. Je laissais libre court à mes idées et c'était bien, c'était ma nouvelle dose d'oxygène. Enfin, quand j'étais hors patinoire quoi!

Samantha s'excusa. Mais ce n'était pas sa faute, loin de là! C'était moi. Elle ne pouvait pas savoir ce que je m'évertuais à lui cacher depuis qu'on s'était mis à patiner. Alors, honnêtement, elle parlait juste d'un truc qu'on avait connu en comment, elle ne faisait vraiment, mais alors mais rien de mal quoi! Ce n'était que moi, seulement et simplement.

« C'est rien. Arrête de te culpabiliser dès que tu dis quelque chose... »

Suite à quoi elle trouva une diversion pour quitter mon élément de prédilection. C'était louable de sa part comme tentative pour éviter les gaffes. Je lui souris, pas dupe pour deux sous, avant de regarder ma montre. Oh, mais la matinée s'était consumée à une vitesse folle! Il était déjà cette heure-ci? Étonnant, je n'avais pas vu le temps passer.

« Aux vues de l'heure... Je crois que la moindre des choses, c'est que je t'invite à manger. Mais avec mes talents de cuisinier, mieux vaut que je t'emmène au restaurant. »

Je la suivis donc pour sortir de l'enceinte, le menton redressé en patinant avec légèreté. Avant de sortir, je me tournais une fois vers la glace - une dernière fois? - pour regarder dans son intégralité ce que je n'avais pas quitté debout depuis des années. Sans perdre trop de temps, je finis ma sortie, avant de m'appuyer sur la lice pour quelques étirements. Sinon, je ne vous dis même pas les courbatures demain! Par contre, imaginez la tête des novices, j'avais l'impression d'être un extraterrestre à m'étirer consciencieusement. Enfin, il ne me fallut pas plus de cinq minutes non plus, après quoi j'allais me rhabiller, avant de regarder où était passée Sam', vu que je ne m'en étais pas trop occupé pendant ce temps-là...