Dans l'écurie, un calme agréable régnait, et pour cause; il n'y avait ni hennissement strident ou rauques, ni martèlement des sabots contre les murs, les portes, le sol, les grilles de séparation. Il n'y avait aucune panique. Danger devait manquer à l'appel... Et en effet, on avait sorti le mâle. Les palefreniers pouvaient enfin travailler dans le calme, sans avoir à subir les assauts hystériques du pie qui avait tendance à être incroyable agile lorsqu'il s'agissait d'attaquer. Enfin, ce n'était pas surprenant avec son physique plutôt compacte et sa musculature développée. Il avait aussi cette étincelle d'intelligence dans le regard, souvent - trop - étouffée par la rage qui le consumait, la haine qui le faisait fulminer et, plus encore, la folie qui l'étreignait.

Pour le moment, le splendide entier était à l'herbe, plus ou moins tranquillement. Il changeait encore. Son copain de pâture, un shetland gris nommé Arlequin, ne sortait plus et il n'avait donc plus personne avec qui s'amuser. Les autres, il essayait de les tuer. Et puis il était encore plus nerveux depuis que Cendrillon, la Pur-Sang arabe avait été vendue avec Désirée, la croisée, leur pouliche. Il était de plus en plus instable et fourbe. On le mettait donc un maximum dehors, pour qu'il canalise toute son énergie sur ses longues galopades sans le moindre but. Mais les pâturages lui rappelaient l'époque où il galopait libre avec les siens, là-bas, de l'autre côté de l'océan. C'était la belle époque, celle d'avant le Feu.

Le bien-nommé était arrêté dans l'étendue rase, le nez dans les restants d'herbe. Tous ses muscles étaient tendus et, parfois, à un simple décollage d'oiseau, il relevait brusquement la tête, ce mouvement ébranlant sa longue crinière qui ornait son encolure massive. Ses naseaux tendus humaient l'air et son regard perçait tout, surtout lorsqu'il proposait son profil à l'œil bleu. Finalement, il remettait la tête sur le tapis vert après un appel puissant et viril qui faisait taire le monde quelques instants. Il avait l'impression d'être craint et cette impression le galvanisait.

Pourtant, il entendit une barrière - sa barrière - cliqueter et il redressa vivement l'encolure. C'est là qu'il avisa un homme. L'appel de langue lui apparut comme un appel clair qu'il connaissait par cœur et auquel il avait naguère répondu sans attendre. Cette homme ressemblait, de loin, à Ulrick, son premier cavalier ici. Mais la voix, lorsqu'il l'appela par son nom, ainsi que l'accent, rien n'était du cavalier qu'il avait connu. C'est pourquoi l'étalon huma l'air, dressé sur ses quatre aplombs, le port fier, l'encolure étendue dans un arc gracieux qui faisait preuve de toute sa puissance. Il pinça les naseaux, secoua la tête comme un serpent ondule pour prévenir et ses oreilles se plaquèrent contre sa nuque. Il se cabra sans attendre, bien haut, l'air terriblement dangereux et ses antérieurs battirent l'air comme un avertissement. Mais rien. L'homme était toujours là, tandis que l'étalon tenait son équilibre précaire.

Décidé à le faire fuir, Danger se propulsa en l'air grâce à ses postérieurs et il bondit comme un dératé, n'atterrissant que pour partir en sauts de mouton. Regard mauvais, muscles tendus, oreilles collées contre le crâne, il paraissait terriblement vicieux - et il l'était. Il s'arrêta pourtant d'un seul mouvement à quelques foulées de l'homme, les muscles tendus, les côtes gonflées, l'encolure arquée. Fier sur ses membres, il gratta le sol l'air de provoquer l'homme tandis qu'il secouait la tête en claquant des dents.

Tu sors ou je te sors? T'es sur mon territoire, tu joues avec mes règles. Et si tu veux mon avis, tu fais pas le poids. Je crois que tu n'as pas compris qu'ici, c'était moi le chef.

Fou, fourbe, sauvage... Mais intelligent. Malgré sa charge sauvage, si dangereux eut-il paru, l'étalon s'était arrêté. Après tout, que savait-il à propos d'une éventuelle réaction de ce nouveau bipède? Il se méfiait, mais il le haïssait déjà. Danger n'allait jamais par quatre chemins. Arrêté, tous les muscles tendus, l'air agressif, il encensa en claquant les mâchoires quand l'homme parla la première fois. Mais lorsqu'il reprit la parole, il avait capté, par son attitude, un peu de l'attention de Danger, puisque l'entier pie avait pivoté rapidement les oreilles vers l'avant. Néanmoins, il gardait son attitude dominante et agressive.

Il était vif d'esprit et de réactions. Alors, dès que le cavalier bondit au dessus de sa barrière, le pie ramassa ses muscles et bondit vers la barrière. Il s'arrêta le poitrail contre, faisant vibrer le bois. Ses dents claquèrent contre le bois tandis qu'il secouait l'encolure, sa longue queue crème battant ses flancs à un rythme accéléré. Il gronda et trotta le long de la barrière, l'encolure dressée, hennissant fort. Ses naseaux pincés étaient des signes montrant son caractère.

Lorsque la boule rouge arriva, il fit un bond et recula, les yeux exorbités. A vrai dire, ça, il ne connaissait pas et c'était presque assez pour lui faire peur. Mais ce truc, tout rond, énorme, d'une couleur éclatante était... Inerte? Il tenta un pas, les oreilles pointées vers l'avant, l'encolure tendue. Il poussa des naseaux l'objet qui « fuit » et il remua les oreilles, intrigué. Le pie trouvait visiblement cela digne de curiosité. Il releva la tête pour regarder l'homme un instant. Il le toisa d'un regard hautain et avança, les oreilles contre la nuque. Mais il fit un bond en avant et poussa la balle vers l'avant. Il se leva d'une trentaine de centimètres et se figea. Il attendit. Il pouvait être patient.

Danger était un étalon imprévisible. Tantôt agressif, tantôt perdu... Il n'avait à vrai dire jamais été si fou qu'il ne l'était désormais, mais le retour au pays des Flammes l'avait chamboulé et la reproduction l'avait fait comprendre ce qu'il était vraiment; un cheval plein de force et de caractère. Ses qualités s'étaient tues, après ce stress. Car Danger avait été doux et calme, un ange, un brave jeune cheval gentil et travailleur. Parfois, lorsque sa rage s'apaisait, il le redevenait, l'espace d'une seconde.

Mais il restait difficile à comprendre. Et sa frousse avec le ballon en était une preuve. Néanmoins, lorsque la voix de l'homme retentit, il lui montra une once d'attention, un instant seulement, avant de satisfaire sa curiosité en visitant l'objet. Et il trouva d'ailleurs cela plutôt amusant, puisqu'il le poussa de nouveau, il observa la réaction du cavalier. Les oreilles pointées à sa voix, il battit néanmoins ses flancs avec agacement. Qu'il était bavard ce bipède..! Il ferait mieux d'agir, que l'entier puisse le juger et décider de son sort.

L'homme s'avança. Les oreilles du cheval se plaquèrent de nouveau contre sa nuque. Il n'était pas encore prêt à se laisser approcher. Quelques minutes auparavant, il aurait sûrement chargé, mais il se contenta d'une posture intimidante, dents dénudées, avant de secouer la tête en grattant le sol d'un antérieur. Puis la balle roula de nouveau et Danger redevint curieux. Il étendit l'encolure vers l'objet rond, les oreilles pointées vers l'avant. C'était digne d'intérêt, et pas dangereux à première vue. Par contre, ça faisait courir le bipède, et ça, c'était marrant. Danger se cabra de nouveau à demi pour se lancer vers l'avant, au petit galop et ses membres battirent la balle qui avança et qu'il suivit. Il repassa au trot et s'arrêta lorsque la balle ne roula plus. Il s'était sensiblement rapproché du bipède, qu'il dardait néanmoins d'un regard suspicieux.