Soleil Levant attendait calmement la suite des évènements. On l’avait habitué depuis tout petit à être manipulé par les humains et la confiance qu’il leur accordait allait parfois au-dessus du raisonnable. En effet, le palefrenier de Horse Beautiful le tenait alors que quelques secondes plus tôt, c’était quelqu’un d’autre, un homme qu’il connaissait bien. Cependant, il vit une silhouette qui lui était encore plus familière avancer vers lui. Il hennit de contentement, reconnaissant l’odeur de l’humain qu’il avait côtoyé depuis sa jeunesse, l’homme qui s’était occupé de lui durant tout ce temps. Le petit étalon gris hennit encore une fois, un hennissement puissant qui brisa le silence matinal. De l’air condensé s’échappa encore de ses naseaux tandis qu’il respirait, impatient. Enfin, Dan s’arrêta près de lui et le caressa. Impatient et joueur, il le poussa de la tête et se laissa par la suite caresser, redevenant instantanément calme.
La scène qui se déroulaient en cet instant précis était si étrange et peu commune que les mots même ne suffisent pas à décrire l’émotion qui s’en dégageait. L’humain se tenait devant son étalon et avait attrapé la longe. Il caressait la puissante encolure de Soleil, ne cessant visiblement de le dévorer des yeux, de peur qu’il ne s’évapore telle une image idyllique. L’étalon, de son côté, reniflait sa veste et descendait en direction de ses poches pour voir s’il n’avait pas par hasard caché une friandise dedans. Il mordillait déjà le blouson mais constatant qu’il n’y avait absolument rien d’intéressant là-dedans, il l’avait déjà relâché. D’ailleurs, il avait un regard innocent, comme quelqu’un qu’on venait d’attraper la main dans le sac.

L’homme et le cheval se trouvait dorénavant réunis et c’était comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Soleil reprenait ses petites habitudes. Profitant donc de la joie momentanée de son propriétaire lors de ses retrouvailles, le petit étalon gris tapa du pied, signifiant son impatience. Le message était clair : il ne voulait qu’une seule chose, galoper et dépenser le surplus d’énergie accumulé au cours du voyage. Comme d’habitude, il était plein d’allant et d’enthousiasme, quel que soit l’exercice qu’on allait lui proposer. Dan continuait de le caresser, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Mais tout de même, ça aurait été nettement mieux avec quelques carottes, cette histoire !
Il tira doucement sur la longe et piétina au passage le massif de fleurs. Il commençait à en avoir assez de ne pas bouger. Il avait vraiment besoin de se dégourdir les jambes après un tel voyage.

Soleil fut soudainement tiré hors de la platebande, massif de fleurs qui gelaient avec le givre hivernal. Dommage, c’était marrant. Ses sabots claquèrent sur le goudron de la cour. Dan s’approcha alors afin de lui retirer ses protections de transport. Ah, quand même ! C’est que ça ne facilite pas les mouvements ces machins-là ! L’étalon gris fut traîné par son propriétaire jusqu’au rond de longe qu’il connaissait bien : cet endroit lui était après tout familier. Dès que le crochet fut défait, Soleil s’élança au grand trot dans le rond et ne tarda pas à prendre le galop. Même si la couverture le gênait quelque peu, Soleil restait dans ce petit galop. L’air chaud se condensait lorsqu’il sortait de ses naseaux et formait une espèce de buée. Le soleil qui se levait lentement illuminait sa couverture verte. L’étalon s’arrêta, naseaux dilatés et contempla à sa manière les environs.

Tout d’abord, il pensait à l’endroit qu’il avait quitté. Vous savez, ce petit village au sud de l’Irlande dans lequel son propriétaire envoyait ses chevaux lorsqu’il était fatigué ? Il faut dire que ce dernier s’entraînait principalement là-bas et élevait ses poulains à la dure. Soleil Levant avait été élevé dans les prés irlandais, sur la côte constamment balayée par le vent. Lorsqu’il fut en âge d’être monté, on commença par lui faire faire des exercices de musculations et de souffle. C’était dur. Mais il était devenu endurant. La première fois qu’il avait mis les pieds dans la mer irlandaise, houleuse et froide, ça avait été une surprise. Mais on s’y habituait. Souvent, son palefrenier l’emmenait dans cette mer froide pour lui renforcer les jambes : c’était bon pour la circulation sanguine qu’il disait !
Cet endroit qui paraissait paradisiaque aux yeux de l’étalon gris était à présent loin. Mais cet endroit lui aussi était familier. D’ailleurs, il sentait aussi le goût de la mer, quelque part par là-bas. C’était presque la même mer. Elle avait la même odeur. De toute manière, ici aussi il se sentait bien.
Le petit étalon détourna la tête et commença à marcher, le nez au sol. Finalement, il aurait bien aimé se rouler. Ouais, ça c’était une idée ! Fier de son envie, il s’allongea dans le sol et sous l’œil mi-figue mi-raisin de son cavalier, il se roula allègrement dans le sable mou. Que voulez-vous… Il y avait une bêtise à faire, il la faisait automatiquement. C’était une véritable réputation de bout en train qu’il s’était forgé.

Soleil Levant se redressa et se remit d’aplomb sur ses quatre pattes, prenant l’air d’un saint. Il tentait vainement d’appliquer le dicton : « Pas vu, pas pris. »
Puis il hennit joyeusement et recommença à galoper dans le rond. D’abord lentement, puis de plus en plus vite. Il atteignit la vitesse maximum que pouvait lui autoriser sa couverture en très peu de temps. Le sable était projeté à chaque foulée. Même si quelques mois s’étaient passés depuis la fin des Jeux Olympiques, il était dans une forme éblouissante, comme s’il venait de paresser pendant des mois au pré. Néanmoins, quelque chose dans sa morphologie avait changé. Bien que sa taille restât petite, il était excessivement musclé. Le travail, l’entraînement, le travail, l’entraînement. Ces efforts répétés l’avaient particulièrement endurci. Le petit cheval, bien qu’étant le même dans son esprit, avait changé dans son physique. C’était encore un cheval, joueur qui se comportait comme un poulain – sauf qu’il ne mordait plus quand on lui donnait une friandise, dieu merci !
Dans son éclatement de joie matinal, le petit cheval décida qu’il était temps de prendre un peu de repos. Trottinant joyeusement, il s’approcha de Dan, faisant toujours preuve de cette étonnante curiosité qui caractérisait notamment les poulains.

*T’as pas un truc à manger ? *

L’étalon le poussa gentiment d’un coup de tête. Bon, d’accord, il venait de se rouler dans le sable. Mais il aurait pu faire pire. Comme par exemple sauter la barrière. Avec la couverture, ça risquait d’être délicat, mais cet espèce d’énergumène était capable de tout… ou presque. Sans compter que la hauteur ne le gênerait probablement pas. Dan avait intérêt à faire rehausser les clôtures partout. Quoique… Soleil avait déjà à peu près tout visité donc il ne risquait pas de se perdre. Et puis, quand il avait faim, il finissait toujours par rentrer à son box.

Jésus Marie Joseph ! Il avait enfin compris le message ! Dan avait fait le tour du petit cheval et commençait enfin à détacher chaque boucle pour retirer la couverture de Soleil Levant. Tout content, l’étalon gris ne bougeait pas d’un poil, attendant patiemment la fin des opérations. En attendant, il soufflait, s’amusant presque comme un gamin à faire des volutes de fumées avec ses naseaux. D’ailleurs, chose extraordinaire : il se tenait vraiment sagement. Avait-il une idée derrière la tête ? Ben non. Pour une fois il n’avait pas prévu de faire de connerie tout de suite. Alors pas la peine d’être suspicieux ! Et puis, vivement qu’il lui enlève ces trucs. Faut dire quand même que c’est gênant : c’est comme si un humain s’enroulait dans une couverture polaire et qu’il essayait de courir. Vous imaginez un peu la scène ? Oo
Bref, passons. Donc, tandis que l’air frais amusait beaucoup notre cheval, Dan finissait de retirer la couverture. Tout content, l’étalon se secoua. Sa robe, en-dessous de la couverture avait été soigneusement pansée avant son arrivée. Elle était plus claire qu’auparavant, chose normale puisque tous les chevaux en vieillissant blanchissent. C’était le cas de Soleil. Cela contrastait étrangement avec ses jambes plus foncées, presque noires d’ailleurs. Ses crins, eux, étaient un peu entre les deux. Plus foncé que son dos et plus clairs que ses jambes. Bizarre. Dans se lança par la suite dans une série de pliage avec plus ou moins de succès. Soleil Levant resta étonnamment calme. Faut dire qu’il comptait se réserver pour la suite des évènements. Bien sûr que Dan avait compris le message. Sinon, il ne serait pas en train de déshabiller notre petit cheval grisonnant. Les oreilles dressées, prêt à tout, le médaillé aux Jeux Olympiques attendait que Dan accélère le mouvement et qu’on passe à la suite, beaucoup plus intéressante. Mais Dan ne semblait pas avoir compris. Et merde à la fin ! C’était pourtant pas compliqué à comprendre, non ? ><

L’étalon piaffa et souffla avec force. Puis il trotta vers la barrière.

*Bon on bouge ? On va pas attendre le déluge non plus.*

Dan dit des trucs incompréhensibles. Et puis, c’est quoi Pégase d’abord ? Un genre de nuage spécial ? Pourtant, y avait pas de nuages dans le ciel. Cependant, Dan paraissait enfin avoir compris la seconde partie du message. Il hésitait. Pour lui donner raison, l’étalon se rapprocha de lui et tout doucement, comme s’il avait peur de lui faire du mal, il lui donna des coups des têtes contre le torse. Ravi de la tournure des évènements, Soleil gratta le sol avec son sabot.
Dan se dirigea vers la porte et l’étalon le suivit comme un gros toutou. Fallait avouer quand même que finalement, cet étalon au talent indiscutable se comportait comme un gros nounours qui aimait les câlins plus que tout. L’étalon le laissa attacher la longe, faire un nœud etc. Enfin, comme d’hab’, Dan faisait son petit business. Il finit enfin par ouvrir la porte et ils sortirent tous les deux. Ravi de cette aubaine, le petit cheval hennit doucement. Il sentit avec envie le parfum de la liberté.

J’te préviens coco… une connerie et on rentre illico presto !

Mais Soleil était TOUJOURS sage ! Ah non ? Ah ben peut-être pas finalement. >< Mais de toute manière c’est trop injuste de dire ça. ><
Bon, ok, il serait sage, promis. De toute manière, il avait l’habitude de mieux se contenir depuis qu’il était monté en concours presque toutes les semaines. M’enfin, on pouvait quand même laisser exploser sa joie face à la liberté après plusieurs semaines sans avoir été chevauché ? Le puissant petit étalon laissa son maître sauter en selle et tandis qu’il s’emparait du licol, Soleil rassembla automatiquement son encolure et lentement, vint presque en place, arquant avec joie l’encolure. Cependant, ça ne dura pas. Les senteurs hivernales le rendaient joyeux. Il redressa la tête et s’amusa à sentir le vent. Puis, à nouveau il revint presque sur la main. Bon, on n’allait pas rester planter ici non plus pendant dix milles ans ?
L’anglo-arabe gris s’avança au pas de quelques foulées avant de s’arrêter en un arrêt bien d’aplomb, quasiment parfait, si ce n’est ses oreilles mobiles qui ne cessaient de s’agiter frénétiquement dans tous les sens. Sans compter aussi l’air campagnard que lui donnait le licol. Ah oui ! Et le brin de paille dans la crinière. ^^’
Bon, Dan se décidait ? Roh et puis zut ! Soleil allait décider tout seul de la direction. Il aimait bien la plaine. On pouvait y galoper. Connaissant parfaitement le chemin, le petit cheval s’engagea dans le chemin sans attendre l’avis de son cavalier. Celui-là, il avait qu’à se décider quand c’était le moment ! Soleil avait une démarche assez allongée et plutôt confortable. Il était capable de toute manière de varier son allure selon les désirs de son cavalier, passant sans aucun problème d’un trot allongé et sautillant à une allure plus rassemblée et plus confortable. Enfin, pour l’instant, il était au pas et admirait le paysage. C’était pas banal : mais il se tenait bien sage pour une fois.

Soleil était ravi de la promenade ! Il fallait dire, pour sa défense, qu’il avait voyagé longuement ces dernières heures. Mais, finalement, l’étalon était habitué à ces déplacements. Bon, ok, ça n’était pas non plus la joie, mais depuis ces dernières années, il n’avait cessé d’aller à droite, à gauche, en Europe. Enfin, il avait un peu était partout. Sélectionné pour les Jeux Olympiques, il était même allé jusqu’en Chine. Comme quoi ! On pouvait ressembler à une énergumène grise et être un globe-trotter !
Mais, il fallait avouer pour un spectateur contemplant la scène d’un regard extérieur, que cette vision de l’homme et du cheval était particulièrement plaisante à regarder. Il existait une sorte de connivence entre ces deux caractères pas spécialement semblables. Une connivence digne des plus grands chuchoteurs ! C’était mieux que ça même ! Ces deux caractères se comprenaient parfaitement. Oh, c’était le résultat d’un travail intensif ! Mais c’était quelque chose de plus subtil encore que ça : quelque chose qu’on ne pouvait réellement saisir tant elle était insaisissable ! Un homme. Un cheval. Une même pensée à chaque fois. Bien entendu, il y avait aussi les dérapages dont nous ne parlerons pas pour le moment car le dérapage suivant arriverait bien trop tôt !
Bref, passons les détails annexes de la beauté qui unit l’homme et sa monture dans cette plaine immense. Car oui, le temps que nous discutions de cette merveilleuse harmonie, le couple cheval/cavalier venait de pénétrer dans la vallée. Il s’agissait d’une plaine immense. Rien que d’y penser, Soleil en avait les naseaux qui frémissaient. Le petit étalon gris marchait cependant sagement (Ô miracle) selon les indications très strictes de son cavalier (Pff, toujours les mêmes qui jouent les rabats joies !). Donc, notre cher anglo-arabe, continuait sa petite promenade, ses muscles frémissant dans le soleil matinal. Il faisait un peu frais, ce matin. Mais pas de quoi inquiéter notre petit cheval tout nerveux. (Vous savez, c’est bien connu, plus c’est petit, plus ça braille fort et plus c’est chiant !). Afin de montrer qu’il était ravi d’être ici et que sa Majestueuse présence ici était le must du must, Soleil Levant hennit avec joie et force.

Soudain, Dan pressa les mollets. Cette simple pression anodine déclencha chez lui ce qu’on lui avait enseigné pendant des années depuis ces quatre ans. Ses formidables muscles, véritables machines de guerre se déclenchèrent. Lentement, il prit le trot. Un trot de travail sage et délicat. Il avait un trot de travail rassemblé et plutôt lent, ce qui le rendait particulièrement confortable. Et il faut dire que Dan avait de la chance de l’avoir lui et pas un autre à cru : son garrot ne sortait pas assez pour faire mal au popotin de son cavalier ! La noble bête poursuivit donc sa route, dans un trot plutôt délicat. Juste pour montrer qu’il était content, il secoua la tête deux ou trois fois (montrant par la même occasion son mécontentement face à une allure aussi minable !) avant de descendre l’encolure dans une attitude posée, décontractée. Bref, il était sur la main. Quel cheval de dressage ! Vision parfait si il avait été correctement équipé et s’il n’avait pas quelques brins de paille dans les crins qui lui donnaient un air campagnard ! Mais quittons pour un instant Soleil Levant et Dan pour se diriger vers une autre personne qui avait elle aussi choisie de se promener dans la plaine à cette heure matinale.


Une silhouette cheval/cavalier approchait elle aussi à un trot de travail raisonnable. L’étalon était d’une robe noire charbonneuse, posé dans une attitude exceptionnellement belle, contrairement à l’air un peu campagnard de Soleil…Commençons donc par le cheval, car c’est ici que c’est particulièrement intéressant dans un premier temps. Il s’agissait d’un étalon, comme on pouvait s’y attendre, possédant une robe aussi noire que la nuit les soirs sans lune. Sa crinière, coupée à une main, se soulevant en une cadence régulière, suivant le rythme de son trot enlevé particulièrement gracieux. Il était très grand, très impressionnant : en un mot, majestueux. Il ne possédait aucune liste ou balzane, simplement une robe noire. Ses yeux bruns étaient froids et calculateurs, comme indifférents à ce qui l’entourait. Rarement, l’étincelle s’allumait dans ses prunelles. Il se nommait Cythar, Cythar de l’Isle.
La cavalière qui était juchée sur ce majestueux animal était contrairement au puissant étalon menue et fine. Elle avait une taille fine, un visage doux et blanc, encadré par une longue chevelure brune qui se soulevait elle aussi au rythme des sabots. Emmitouflée dans un gros pull en laine, la jeune femme tenait fermement les rênes de l’étalon. Sa position était celle d’une cavalière de longue date, habituée à monter des chevaux de dressage. Ses mains gantées guidaient avec cette assurance née de l’habitude l’étalon. Cythar n’était pas le cheval attitré de Minnie. Simplement, Milju qu’elle connaissait à peu près, était venue la trouver la veille au soir, lui expliquant qu’elle avait énormément de travail. Il faut dire que, pour sa défense, elle exerçait le métier d’éthologue, ce qui n’était pas de tout repos avec les chevaux difficiles que contenait l’académie. Ainsi, Milju avait demandé à Minnie de sortir Cythar le lendemain, sachant que la jeune irlandaise avait l’habitude des chevaux de dressage. Mais Minnie n’avait pas voulu faire réellement travailler l’étalon ébène. Elle l’avait simplement emmené en promenade, ravie de l’aubaine de pouvoir monter un peu à cheval.
Bref, ce couple ne paraissait pas aussi impressionnant que Dan et Soleil, mais il était particulièrement élégant. Minnie, s’apercevant alors de la présence d’un autre cavalier dans les environs en compagnie de sa monture, décida d’aller voir qui était cette personne. Elle guida Cythar avec douceur en direction de l’étalon gris et son cavalier. Puis, lorsqu’elle fut à une distance raisonnable, elle repassa au pas. Reconnaissant soudain la personne qui était en sa compagnie, la jeune femme s’exclama, à la fois surprise et ravie :

« Dan ! »