Les alentours de l'Académie étaient vraiment apaisants. J'me sentais bien. Les joie de l'amour, et des chevaux ! J'arrivai aux écuries. Je poussai la grande porte, et fit claquer ma langue, par réflexe. Les chevaux sortirent leur tête par la demi-porte. Un en particulier attirait mon attention. Identique aux photos de son dossier. De robe noire, pure race minorquine.

- Bonjour Méfisto. On va faire équipe toi et moi.
dis-je d'un ton très doux.

J'étais perdue dans mes pensées, mon homme me manquait terriblement. Je me sentais seule sans lui, mais cela ne saurait pas troubler mon travail. J'étais un très bon vétérinaire, pratiquant l’éthologie, bonne cavalière et remarquable amoureuse des chevaux. Je regardais les petites bouilles des chevaux de Horse Beautiful. Il avait de pures beautés. Je les inspectais vite, sans contact physique. Quelle santé ! Ils paraissaient épanouis, ici. Puis je revint vers l'intéressé. J'avançai prudemment ma main vers Méfisto, avec une pastille à la cerise dedans. Je n'avançai pas, j'étais à sa hauteur. A lui de faire un pas quand bon lui semblait. De l'autre main, j'attrapai sa longe, et la lui fit sentir, avant de pouvoir entreprendre d'attacher sa longe à son licol. Je ne savais pas encore ce que j'allais faire avec lui en attendant d'avoir des chevaux malades, mais une chose sûre, c'est qu'on allait faire connaissance, moralement et physiquement. J'inspectais sa robe. Saine, mais sale. Ses yeux. Vifs. Ses crins. Abîmés. Secs. Ses muscles. Bonne forme physique, très bonne même. Ses sabots. Légèrement abîmés, ils avaient besoin de soins. Voilà qui me donnait quelques tâches à faire. J'en profiterais pour l'ausculter.

- Je suis vétérinaire, et ta cavalière attitrée. Là, mon beau, allez viens...

Méfisto ne mit pas beaucoup de temps à ralentir jusqu'à s'arrêter, tout au contraire. Il se dépêcha même de me retrouver. Son hennissement, son rapprochement, et son souffle dans mes cheveux traduisaient la fin de la séance, et l'accord de sa confiance en ma petite personne. Je souris. Emplie d'une grande joie, je me tournai avec douceur vers lui, et gratouillai son chanfrein. C'est une satisfaction incommensurable que de se voir accorder la confiance d'un entier qui était de mauvaise humeur ce matin. Ce cheval m'était attribué, et je détenais la clé de sa confiance. Je lui souris, attrapai son licol et y remit la longe. Je décidai sur un coup de tête d'aller le doucher. Ensuite on irait se balader. Je l'entrainai de claquements de langue, longe lâche vers la carrière.

Nous nous dirigeâmes vers les douches. Je l'attachai à l'anneau prévu à cet effet, toujours aussi long. J'avais sa confiance, il avait la mienne. J'ouvris le jet tout doucement, et mouillai ses membres déjà trempés par la sueur. Je pris une éponge douce qui se trouvait sur un muret, la rinçai, puis fit couler l'eau que l'éponge contenait sur le dos de l'étalon. Je la rinçai encore, l'essorai à fond, puis nettoyai le coin des yeux et des naseaux de l'entier noir. J'essuyai l'écume sur ses flancs. Puis, je bouchai l'embout du tuyau avec mon pouce, et montai l'eau quelques centimètres sous sa bouche, en prenant toutes les précautions pour ne pas l'éclabousser et lui faire peur, afin qu'il puisse boire un peu. J'éteignis l'eau, puis attrapai un couteau de chaleur sur le muret, et enlevai le plus gros de l'eau.

C'est ensuite vers la sellerie que nous partîmes. Je lui pris son filet, un tapis, un amortisseur, des guêtres, puis ma selle universelle. Nous revînmes vers la douche, non loin de la sellerie, où je le sellai, après lui avoir donné une pastille au citron. Je passai sur son côté gauche, et, le pied dans l'étrier, je passai sur son dos. Je réglai mes étrier, et zou ! Nous étions partis nous balader. Je lui flattai l'encolure tout en tendresse.

L'entier Pure Race Minorquine arborait fidèlement une robe noire reluisante désormais. Je savais combien j'avais pu lui casser les sabots avec mes âneries d'humanoïde et mon éponge, mais il devait désormais se sentir bien mieux. Pour lui faire comprendre que je ne lui avait voulu aucun mal avec le jet d'eau, juste le faire boire, je descendis à nouveau au sol, j'attrapai un sceau non loin d'ici, le rinçait un bon nombre de fois, puis le remplit, et le lui offrit. Il faudrait ces prochains jours que je le désensibilise à pas mal de choses. Tout d'abord le portail, désormais le bruit du jet d'eau, le jet d'eau proche des naseaux. Afin qu'il parvienne à se détendre, je sortis de ma poche une bouteille d'huiles essentielles de lavande, et en mis quelques gouttes dans le sceau. Je baladais mes doigts sur son chanfrein, puis lui flattait l'encolure. Ma main longeait ensuite affectueusement le long de sa croupe, sans pour autant aller trop loin et le gêner. Il avait des courbes réellement parfaites. Je lui ôtai son filet avec précaution, afin qu'il puisse boire sans entrechoquer ses dents sur le mors. Je le laissais boire tranquillement sans aucune envie de le déranger. Son mal-être envers les humains faisait en permanence qu'il voulait qu'on lui foute la paix, mais en même temps, comme tout équidé domestiqué et qui plus est débourré, il avait besoin de l'amour des humains ; il faudrait que je creuse ce côté-là de l'entier. Il fallait que je découvre pourquoi il montrait autant son besoin de présence humaine à ses côtés tout en exprimant quelques phobies peu communes mais assez vives.

Je ne savais pas bien encore comment j'allais procéder pour ces désensibilisations. Non, il me fallait tout d'abord connaître son histoire complète. Oui, je me devais d'enquêter sur lui. Cependant, j'avais beaucoup de travail à la clinique aujourd'hui, le directeur n'était point présent, et Méfisto était pris en stage de passages de galop cet après-midi. Hey, ceci n'était-il pas une piste ? L'étalon ne demandait-il pas un peu plus d'attention de la part de quelqu'un qui saurait être aux petits soins avec lui, et que l'on arrête de le jeter comme un ballon de basketball entre ses différents joueurs ? Certains équidés ne supportaient pas de changer de cavalier fréquemment, c'était inscrit dans leur caractère, dans leurs émotions, dans leurs ressentiments. C'était ainsi, et il fallait le respecter pour ne pas rendre le cheval fou. C'était probablement une sorte d'appel au secours. Je savais que je ne pouvais pas chambouler une journée de passages de diplômes comme ça, tous les chevaux non pris ce jour-ci n'étaient pas exploitables : blessés, non débourrés, à la retraite... Le problème était que si j'avais raison sur ce point, l'entier finirait par se rebiffer pour de bon et ce serait dangereux pour lui, son cavalier, et les autres. Je lui fit la promesse qu'on ne se le trimballerais plus d'ici quelques temps de mains en mains comme ça, sans lui dire bonjour ni au revoir, sans lui faire faire de pauses, et en ne le pensant et le sellant qu'une seule fois, au tout début de l'après-midi.

Je passai un coup de fil tout de même au gérant du centre, en lui exposant le problème. Ayant connaissance de mes compétences d'éthologie et de vétérinaire, il parut compréhensif. Bien qu'il comprit le bémol, il m'exposa le fait que nous n'avions personne pour le remplacer aujourd'hui, et qu'il y avait bien trop de cavaliers qui se l'était vu attribué, pour le désister ainsi des cours. Malgré ce léger conflit, nous trouvâmes un terrain d'entente, qui consistait à laisser Méfisto cette semaines pour les passages de galops, et j'aurai ensuite un mois pour prouver que la sensibilité du cheval venait de là. A ce moment, j'enchainerais séances de consentement, massages et désensibilisations, tout en le montant, moi et moi uniquement. Si le cheval était toujours dur de caractère et craintif, on le remettrai en stages, dans le cas contraire, je serais son unique cavalière, un peu comme s'il m'appartenait, mais avec bien moins de liberté.

Je remis précautionneusement le filet à l'entier, et m'excusai de ce contre-temps. Mais je ne pouvais tout de même pas m'en aller avec un cheval qui avait refusé de s'abreuver, quitte à prendre un peu de temps sur ma journée de travail, et donc sur mon temps de repos. Je ne pouvais pas non plus rester en ayant aucune chance de m'en sortir avec lui, il avait donc fallu que je tente de trouver un compromis pour me sentir plus à l'aise. Je lui murmurait une fois sur sa selle qu'on allait y arriver, mais qu'il lui faudrait de m'aider un minimum pour que l'on y parvienne. Et nous voilà partis vers de nouvelles aventures... Nous allions faire une douce ballade dans les champs, pour commencer en douceur et apprendre à se faire mutuellement confiance, bien que je mourrais d'envie de sauter des troncs d'arbres morts dans la forêt ou de jouer avec les vagues sur la plage.

La jeune femme était redescendue au sol. Pour quelle raison, Méfisto n’en savait rien, mais elle l’avait fait en tout cas ! Cela dit, il n’eut pas très longtemps à attendre pour connaitre le pourquoi du comment. En effet, la demoiselle reprit le tuyau d’eau sous son regard… un regard aussi noir que sa robe. Cependant, elle ne tenta plus de lui remettre de l’eau sur le poil, ni de lui approcher de la tête… encore heureux ! Non mais c’est vrai quoi, quelle idée aussi ! Est-ce qu’il lui collait son foin sous le nez à elle ? Non ! Bon ben alors pourquoi celle-ci se permettait de lui mettre un de ces trucs sous les naseaux ?! Complètement insensé… Cependant, elle versa de l’eau dans un seau et rajouta une chose avant de le poser devant lui. Ronflant des naseaux, Méfisto remua l’encolure avant d’aller renifler l’eau relevée d’une odeur florale. Oui, c’était assez relaxant comme odeur… mais bon, c’était pas tout ça mais il n’en avait rien à faire de ce seau, il n’avait pas soif !

L’entier repoussa donc sa tête du seau et regarda ailleurs, signifiant ainsi son désintérêt total. Elle ne comptait tout de même pas l’obliger à boire ? Parce que si elle commençait comme ça, elle verrait rapidement qui il était vraiment ! Méchant ? Ah non surement pas ! Têtu et plein de principes, ça oui… et elle ne le forcerait certainement pas à coller son nez où il n’en avait pas envie nah ! Bref… par la suite la jeune femme dut se rendre compte qu’elle n’arriverait à rien de plus à ce niveau là et lui remit donc son filet. D’ailleurs cela faisait bien longtemps qu’on ne l’avait pas monté en filet simple… la plupart du temps il était monté en pelham ! Pas forcément avec les doubles rênes… cela dépendait de la séance, mais au moins avec un mort plus dur bien que recouvert de caoutchouc ainsi que la fameuse gourmette du filet pelham. Aujourd’hui il n’avait rien de tout cela visiblement… oui, il se sentait presque libre ! Voilà qui promettait…

Voilà qu’il était de nouveau prêt. La demoiselle se remit alors en selle et Méfisto se mit aussitôt en marche, la tête haute et les sens en alerte. Avec lui, tout était un prétexte à la fuite ! Un objet volant non identifié ? Là c’était le demi-tour forcé et le galop plein gaz assuré ! Un bruit suspect et c’était l’écart obligatoire ! C’était la raison pour laquelle ses anciens propriétaires s’étaient débarrassés de lui. Trop nerveux, trop peureux. Ces gens là créaient des spectacles équestres, participaient à des animations, des manifestations… mais lui devenait trop imprévisible et s’en était dangereux. Pourtant, il avait eu l’habitude du bruit, des gens, des sorties… mais rien n’y faisait, il ne changeait pas. Du coup, avec regrets, ils avaient trouvé un acheteur potentiel pour le récupérer. C’est ainsi qu’il déboula dans l’académie de Horse Beautiful avec ses qualités et ses gros défauts ! Défauts qu’il ne mit d’ailleurs pas longtemps à montrer à sa cavalière du jour. En effet, une fois sur le chemin longeant les paddocks, le minorquin aperçu un cheval qui trottait joyeusement le long de la clôture et l’instinct fut le plus fort : il partit en trombe sur quelques foulées avant de ralentir subitement pour jouer les chevaux à bascule ! Sautillant alors à moitié sur place, la nervosité lui dilata les naseaux et la jeune femme pouvait désormais vraiment sentir ses muscles se tendre !

Nous étions partis, lui et moi, galopant à travers les champs de fleurs sauvages, crinière et cheveux au vent, sous le beau soleil de... Eli !! Eli, arrête de rêver, là, tu m'expliques ce que tu fais ?!! Méfisto venait de remarquer la présence d'un cheval qui trottait dans son pré. Il parvint à m'embarquer, alors que cela ne m'arrivait jamais. Ouais, je rêvais à mon homme, et ça commençait à peser lourd là, non parce que je gâchais mes fiers talents de cavalière. Je me ressaisis, et entrainai le cheval avec douceur en faisant de légères pressions de bassin dans la direction où je désirais aller. Je claquai ma langue contre mon palais. Je faisais toujours ça, Méfisto saurait le reconnaître au fur et à mesure.

« - Hé, dit, toi là, en bas. On ne se distrait pas par les copains. Je rêvais, d'accord ? Je ne suis pas une cavalière amateur. Je veux voir de quoi tu es capable. Allez ! »

Je lui parlais sur un ton gentil et ferme à la fois, tout en l'entrainant de coups de reins. Bien qu'on m'est dit qu'il soit turbulent, l'étendue devant nous devint de plus en plus large, et plane. Plus aucun danger, ni clôtures, ni chevaux, ni routes, ni rien du tout, juste du plat, afin de voir ce qu'il savait faire. Je me doutais qu'il voudrait commencer par se défouler, c'est pourquoi je l'avais emmené jusqu'ici, où il pourrait faire le fou sans aucun soucis sur des dizaines de kilomètres s'il le désirait. Galoper à toute vitesse dans les champs était un immense bonheur, surtout sur les foulées d'un minorquin aussi puissant que Méfisto. Sa puissance ossature faisait toute la différence. Et peu importe s'il voulait ruer, cabrer, faire ce qu'il voulait pour me tester, je n'en serait pas à ça du nombre de cascades effectuées. J'adorais les jeunes chevaux, fougueux, plein d'énergie et de surprises.

« - C'est tout ce que tu me montres, Mémé ? Allez !! »

Jamais mon sourire n'avait été aussi joyeux et empli d'adrénaline. La bonne vieille adrénaline.