« Lifes. »
Voilà qui annonçait un jour un peu comme les autres. Le printemps avait du mal à pointer le bout de son nez sur Etretat, et principalement la semaine. Le week-end, ça allait, les touristes étaient pas mal de sortie s'il ne pleuvait pas, et pour un patron de bar, c'était parfait comme premier bilan pour le démarrage de la saison. Pour le moment c'était assez chaotique il fallait quand même l'avouer, mais soit. Ce jour ne ferait définitivement pas exception. Mais comme d'habitude, j'étais à mon poste dès onze heures le matin et jusqu'à une heure du matin s'il y avait un peu de monde. C'était une vie dans laquelle je ne comptais plus les heures, maintenant que j'étais propriétaire de mon bar et pourtant je n'avais aucune envie de m'en plaindre puisque tout allait pour le mieux. Ma boutique marchait bien même si pour le moment le début de saison s'avérait assez laborieux, seulement les quelques habitués qui passaient quotidiennement m'empêchaient d'être dans le choux royalement pour le moment. J'avais aussi fait mon trou dans le coin, jouissant d'une certaine notoriété et ma voix commençait à être écoutée au sein de l'association des commerçants de la ville. Il fallait dire que je n'avais pas toujours grand-chose à dire mais que le peu que j'en disais n'était pas fait pour mettre des bâtons dans les roues des autres commerces, contrairement à certains. Tout ce que je voulais, c'était pouvoir faire tourner au mieux ma boutique, et ça passait par quelques propositions d'aménagement des rues alentours, et ça ne pouvait que profiter aux autres commerces.
Depuis que j'avais quitté Morzine et ouvert l'
Edelweiss, j'avais surtout fait de belles rencontres à Etretat. Ça allait des talents du coin qui animaient les soirées de mon établissement aux clients devenus amis. J'avais toujours été quelqu'un de sociable et de facile à lier, n'ayant pas une grande méfiance naturelle, et par ici les gens étaient vraiment agréables à côtoyer dans leur majorité. Il fallait dire que beaucoup étaient des déracinés, comme moi. Et par conséquent la population du bar venait de tous horizons. C'était un brassage très sympa, et parfois on entendait des expressions de toutes régions dans la salle. L'ambiance était généralement bonne et surtout, ce qui était le principal pour moi, bon enfant. Il fallait dire que c'était le but de toute l'équipe. Hors saison l'équipe se composait de deux serveurs en plus de moi, qui ne bossaient pas en même temps à part quelques heures par jour s'il y avait rush. En période, je prendrais peut-être un saisonnier pour booster la team et permettre un roulement sur les jours de repos afin de ménager des congés pour tout le monde. L'an passé, ça c'était particulièrement bien passé avec ma saisonnière, d'ailleurs. Sauf que maintenant, travailler avec elle s'avérerait compliqué ; elle qui avait d'abord était une cliente était désormais ma copine, et je savais que mélanger travail et vie privé était une très mauvaise idée. Je savais que j'allais me laisser distraire par Elli', et pour être distrayante, celle-là, elle était distrayante.
C'était le genre de fille avec un grain de folie qui me plaisait terriblement. Mignonne, enjouée et folle, un terrible mélange qui ne m'avait jamais laissé indifférent, surtout pas avec elle. Nous nous étions rencontré le jour de l'ouverture du bar, et dès le premier jour, elle avait retenu toute mon attention. Il fallait dire qu'elle m'avait appelé monsieur à plusieurs reprises, ce qui m'amusait pas mal, déjà, et aussi qu'elle m'avait parlé de mes fesses dès ce soir là. Autant dire que c'était avec une curiosité amusée que j'avais commencé à parler avec elle, rencontrant pour la première fois son grain de folie qui allait parfaitement bien avec son jolie visage. Suite à ça, elle avait travaillé toute la saison d'été au bar, ce qui avait été rafraîchissant. Son petit caractère était parfaitement passé auprès des clients et elle avait été appliquée à la tâche. C'était d'ailleurs presque dommage pour la profession qu'elle ne s'y destine pas parce qu'elle avait vraiment était très bonne dans son rôle et je l'aurais vraiment vu continuer dans cette voix. Seulement, elle avait bien plus d'ambition, et elle avait surtout la tête pour aller au bout de son ambition. Seulement, après la fin de son contrat, on avait continué de se voir, et puisque l'idée fixe de mademoiselle était de m'entendre chanter sur scène – et dans mon bar de préférence –, je l'avais emmenée avec moi à Morzine. C'était le seul endroit où je me produisais volontiers, et l'air de la montagne ne pouvait pas lui faire de mal pendant ses vacances. Enfin, ses révisions, je devrais dire. Toujours est-il que ces quelques jours passés dans ma famille avaient dessiné un autre tournant dans notre relation.
Depuis, on était ensemble. C'était aussi simple que ça. Et entre sa scolarité et mon travail, on se voyait peu, mais ça marchait bien comme ça entre nous. Il fallait dire qu'on avait trouvé notre rythme pour profiter l'un de l'autre, et que rien n'empêchait Elli' de venir au bar pendant que je travaillais, tout comme rien ne m'empêchait d'aller chez elle même si elle révisait. Même si dans ces moments-là l'un comme l'autre n'avions pas forcément toute l'attention que l'on attendait, c'était le meilleur compromis qu'on puisse faire pour se voir plus souvent que les trop rares moments où nous étions tous les deux libres au même moment. C'était presque de l'exploit ce genre de temps-morts dans nos vies bien remplies. Mais au moins on ne s'ennuyait pas et on avait un tas de choses à se raconter ! Parce que bon, même si on se voyait peu, on se disait pas mal de choses avec les moyens de communication modernes. Genre les réseaux sociaux, les sms, tout ça quoi.
Pour cette journée banale parmi les journées banales, je ne voyais pas grand-chose qui pourrait entamer mon moral. Dès le réveil, je m'étais senti dans une forme internationale, et j'avais attaqué les hostilités comme à chaque fois, très banalement. Après un petit déjeuner dans les règles de l'art et une longue douche bienfaitrice, j'avais enfilé un jean clair et un tee-shirt gris chiné ouvert sur un col en V et je m'étais contenté d'arranger mes boucles brunes qui me descendaient jusqu'aux épaules. Cette longueur n'était vraiment pas mal, mais ça me changeait pas mal par rapport à quelques mois plus tôt, et je n'étais pas sûr de ce que je préférais. Alors pour l'instant je gardais de la longueur, et peut-être bien que d'ici deux jours, sur un coup de tête, je couperais presque tout. C'était un peu sur un coup de tête que j'avais laissé mes cheveux pousser aussi d'ailleurs. Il fallait juste savoir que j'étais parfaitement conscient des boucles brunes que ça m'aurait fait une fois mes cheveux plus longs. En prévision de ce moment – qui arriverait forcément – où mes cheveux ne devraient surtout pas venir dans mon champ de vision et se décideraient à le faire coûte que coûte donc, je passais deux fins élastiques noirs autour de mon poignet droit, enfilant un épais bracelet en cuir au gauche. J'avais ensuite enfilé ma paire de vans bordeaux et finalement opté pour la chemise bleu claire à carreaux ouverte sur le tee-shirt pour palier à la fraîcheur ambiante. Et j'avais rejoint le bar avec mon téléphone en main pour faire l'ouverture.
J'étais survolté comme rarement, au final. J'avais très bien dormi, et ça se sentait. Mieux, ça se voyait. Au clou les cernes autour des yeux et l'humeur maussade ; j'avais enfin bonne mine et surtout, j'étais de très bonne humeur. En plus, tout était en place et nickel dans mon petit coin de paradis, et les premiers clients ne risquaient pas de se presser trop tôt pour arriver. Alors je m'étais laissé tomber dans le canapé au fond de la salle, avec ma guitare, grattant et chantant avec une bonne humeur qui aurait pu être communicative si je n'avais pas été seul. Je m'étais finalement relevé, décidant de laisser tomber mon habituelle tenue calme de chef d'établissement pour laisser l'énergie dont je débordais s'exprimer. J'avais cette attitude survoltée que j'avais habituellement quand j'étais sur scène pour un concert. Pour faire simple, j'avais le feu. Malgré le fait que je sois pour le moment habité par la musique, j'entendis la porte s'ouvrir et relevai donc la tête, voyant Elli entrer. Ça c'était une surprise. Un splendide sourire charmeur étira lentement mes lèvres, et je lui adressais un clin d'œil, terminant la chanson pour laquelle elle tombait à point ;
Sweet Darling. Le hasard était avec nous. Une fois le dernier accord posé, toujours ce même sourire aux lèvres, je posais ma guitare dans le canapé et me penchais pour lancer la musique dans les enceintes. Je parcourus finalement la distance me séparant de ma pétillante blonde, passant mes mains dans mes cheveux pour les remettre en place dans le laps de temps.
Finalement, je posais les mains sur les hanches d'Elliana, l'attirant vers moi et déposant mes lèvres sur les siennes avec l'air de celui qui a une idée derrière la tête. Il fallait avouer que j'étais toujours plein d'idées en tous genres, et pas toujours en bonnes d'après le point de vue de mes proches. Par exemple sauter en parachute était la pire idée que je puisse avoir à leurs yeux depuis que j'avais failli me tuer en restant comme un cochon pendu au train de l'avion. Monter une équipe de horse-ball ne plaisait pas beaucoup plus à mes parents, visiblement. Et la jolie blonde était tout à fait et très violemment opposée à l'idée que je part en free-ride avec mon snowboard en montagne. Vous voyez le topo. Seulement, pour le moment, ce n'était pas une si mauvaise idée, du moins pas que je sache, que j'avais en tête. Alors, mes mains remontèrent pour finir par débarrasser la demoiselle de son manteau que je laissais tomber sur une table à proximité. Alors, mes mains retrouvèrent le chemin de ses hanches et, sur le rythme de la musique, lui volant encore un baiser, je me mis à danser, bien décidé à l'entrer avec moi, et pour ça je comptais à la fois sur mon humeur communicative et son petit côté effronté qui faisait qu'elle avait tendance à me suivre.
« Que me vaut le plaisir de votre visite, mademoiselle ? »Même mon intonation prouvait à quel point je me sentais de bonne humeur et joueur, aujourd'hui. Ce n'était, en soit, pas si rare que cela, venant de moi. Seulement, au travail, je n'étais pas le même, et là j'étais quand même sur mon lieu de travail, alors habituellement j'étais beaucoup plus concentré et sérieux d'apparence. Même s'il fallait avouer que certaines personnes me rendaient rapidement un peu plus vif. Je me permettais un ton badin avec certaines personnes et dans certains contextes quand j'étais aux commandes de mon bar, mais habituellement c'était plutôt un calme détendu que j'affichais, avec un délicieux sourire de bonne humeur imparable. Mais là, j'étais carrément mutin et la présence d'Elli ne me poussait pas à être plus neutre, au contraire même. Ça faisait quelques jours qu'on ne s'était pas vus, et j'étais ravi qu'elle soit là, et surtout que je n'aie pas de travail et donc du temps à lui consacrer. Notre petit intermède de danse était un moyen efficace d'allier mon énergie débordante et le plaisir d'être en compagnie de la demoiselle.
« Tu m'as manqué ces derniers jours … » Un sourire en coin étira mes lèvres et je l'attirais tout contre moi. Puis un soupir franchit mes lèvres.
« Je vais avoir du travail … »En effet, une femme s'était arrêtée devant le bar, dont elle observait la devanture, et avec regret je me décollais d'Elli', récupérant son blouson abandonné. Je reprenais mon attitude de patron, mais pour autant je n'avais pas perdu ma bonne humeur et, récupérant la main de ma blonde au passage, je me dirigeais vers ma guitare abandonnée pour mettre son manteau à côté. J'entendis distraitement la porte s'ouvrir et, avant de me retourner, je proposais un café à Elli', ce qui était bien la moindre des choses surtout que je ne pensais pas trop qu'il soit l'heure d'un mojito, vous voyez. Il était encore un soupçon tôt pour ça. Je me tournais finalement vers la cliente, l'accueillant d'un bonjour chaleureux sans vraiment la regarder, c'était vrai, attendant plutôt qu'elle s'installe avant de prendre sa commande. Seulement, elle m'appela par mon prénom, ou plutôt mon surnom, et capta toute mon attention. Me regard clair se posa sur la sien et une expression de surprise modifia mes traits.
« Marie ? Qu'est-ce que tu fais ici ? Je m'attendais pas à te voir à Etretat. » Marie, c'était une de mes exs. On s'était quitté en bons termes quelques mois avant que je ne quitte Morzine, quand elle était partie pour Marseille pour le travail. Depuis, je n'avais plus eu de nouvelles d'elle. Sa présence ici était donc surprenante mais … Pas dérangeante. Un sourire léger étira mes lèvres.
« En tous cas, bienvenue à l'Edelweiss ! »Emi Burton