For a smile they can share the night. It goes on and on and on and on.

Le centre commercial semblait presque se réveiller d’un long sommeil. La brunette aux reflets ambrés se baladait dans les allées plutôt désertes. Visiblement, sans vraiment le vouloir, elle était arrivée juste après l’ouverture des grandes grilles de fer, et les normands ne semblaient pas pressés de se lever pour aller peupler les magasins. Peut-être le temps était-il tellement gris qu’ils ne parvenaient pas à être réveillés par le jour, pensait-elle, ressentant un soudain mal du pays. La France n’était pas un pays désagréable, bien au contraire ; mais elle était trop italienne pour réussir à s’y adapter totalement. Elle ne parvenait pas à parler doucement –quand elle se mettait à parler-, pas plus qu’elle ne parvenait à rester sage et discrète en toute circonstance. Pour elle, la France, bien loin d’être l’image de la capitale de la mode du monde populaire, était surtout un lieu de retenue et de non-dits.

La grande brune errait dans ces allées, jetant des coups d’œil appuyés à certaines vitrines. Les panneaux publicitaires et les affiches qui –pour ainsi dire- décoraient le centre commercial lui renvoyaient une douloureuse image d’elle-même. Oui, pendant un temps, ç’avait été elle qui posait, le regard vague et les cheveux trop emmêlés pour que cela paraisse vrai. Elle avait ressemblé à ces poupées de cire passées au filtre Photoshopant, elle avait vécu les longues séances photos et les découvertes des nouvelles collections en avant-première, comme elles. Elle avait apprécié cette vie et elle en avait tiré le maximum. Elle savait pertinemment que, quand elle reviendrait en Italie, plus personne ne voudrait d’elle ; les modèles étaient comme les vêtements, un phénomène de mode. On prenait et on jetait des modèles de la même manière qu’on choisissait puis qu’on se débarrassait d’un jean trop usé. Elle avait fait son temps, et elle en était consciente.

Aussi, c’est sans aucune animosité qu’elle regardait ses compagnes sourire sur les morceaux de papier. Elle avait été consciente de sa chance, et elle ne pouvait que souhaiter la même chose aux millions d’autres jeunes filles qui évoluaient dans le même milieu difficile qu’elle. Car elle savait que ces demoiselles en détresse avaient une grâce, une force et une maturité peinte sur leurs visages. Et elle savait que c’était ce que cherchaient les casteurs. Ils avaient besoin de cette beauté brute pour orner leurs catalogues. Et ces beautés brutes avaient besoin de ces gens d’un autre monde pour avoir le courage de sortir du leur, misérable et miséreux.

Elle passa une main nerveuse dans ses cheveux qui, chose rare, étaient lissés avec soin. Elle n’aimait ni la foule ni l’ambiance trop familiale et trop chaleureuse de l’écurie, aussi elle préférait de loin passer du temps dans son studio… En l’occurrence pour prendre soin d’elle et découvrir que sa longue chevelure pouvait ressembler à autre chose qu’à un amas de cheveux sans forme. Elle n’aimait pas cet endroit, pas plus que le reste de la ville, finalement. Elle avait l’impression d’être belle et bien noyée dans la masse… Et se sentait plus que perdu et esseulée.

Elle s’arrêta un instant devant une vitrine, ne s’étonnant même plus du prix de ces morceaux de tissu. Si elle avait voulu, elle aurait largement pu s’offrir ce type de folies. Cependant, avec un petit signe de tête négatif à l’intention de ses propres démons, elle réfuta cette idée aussi sec. Si elle voulait couper avec son précédent style de vie pour en découvrir un nouveau, il ne fallait pas qu’elle s’autorise ce genre de frasques.
Avec un petit sourire, Galante s’éloigna de la fameuse vitrine, tournant littéralement les talons pour s’écarter de là où elle était. Alors qu’elle tentait donc de virevolter, son épaule heurta quelque chose. Un corps, forcément, vu qu’aucun obstacle ne se trouvait là quand elle était arrivée. Sa petite taille et sa fine carrure n’aidant décidément pas, le choc fut plutôt violent pour elle. Et, si l’on combine le choc, la surprise et le notoire manque d’équilibre qu’elle ressentait perchée sur ses talons aiguilles, on peut estimer tout à fait normal qu’elle s’écroule au sol. Tentant en vain de se rattraper sur ses mains, elle lâcha un petit cri de douleur en ne réussissant à rien à part se faire mal.
Décidant pour le moment, dans un élan de lucidité, de rester assise au sol, elle releva la tête vers la source de sa chute.