Alexandre Ҩ Aislinn

« La nuit m'appelle... »

Qui je suis et ce que je suis, voilà deux choses différentes et parfaitement liées pourtant. Je suis un parisien, un homme de la rue, un bagarreur, un meneur qui n'a pourtant jamais vraiment mené – trop d'ennuis – et qui pourtant a toujours eu le plus de respect de la part des gamins de la rue. Respecté et craint. Une idée qui m'avait toujours plu, qui m'avait développé un caractère de battant, bien trempé, tête de mule et fonceur. Sourire carnassier, imposants tatouages que l'on voyait dans mon cou et sur mes avant-bras, mes mains, j'étais plutôt impressionnant comme type et j'en avais toujours imposé. A vrai dire, je n'avais jamais, oh grand jamais, hésité à montrer ma supériorité par la force ou la parole. J'étais bien loin d'être dépourvu de répartie, bien loin d'hésiter avant de faire exploser ma force. J'avais passé un homme à tabac. Il s'en était pris à un ami en plus d'être le copain violent et détestable d'une autre amie. Si je n'avais pas été arrêté par mes propres amis, peut-être que j'aurais fini par lui asséner un coup mortel. Aucune compassion. Pas de regrets. Mon seul regret c'était bien les six mois de détention pour mineur que j'avais fais pour ça. Circonstances atténuantes. Bonne conduite là-bas. Liberté rachetée.

Je ne suis pas le mec tendre, ça se voit, c'est dit. Ces derniers-temps, j'avais un peu la tête à l'envers. Je ne savais plus où donner de la tête. Je bossais pas mal et lorsque je ne bossais pas, je sortais. J'avais besoin de me trouver, de savoir où j'en étais. Mais cette nuit, une rage sourde me tiraillait. Allez savoir pourquoi, vous. Je n'avais pourtant aucune raison d'avoir les muscles si raides, les idées si noires et les nerfs à fleur de peau de la sorte. Rien, nada, que dalle. Il avait alors fallu que je m'échappe. J'étais sorti de chez moi, vêtu d'un jean ample, usé et troué, très mauvais genre et d'un sweat-shirt noir à capuche, avec des inscriptions en rouge et en blanc dessus. Mes doigts glissèrent sur une poche de mon jean. J'y sentis tout de suite mon téléphone portable et un petit autre chose de bien moins banal et de bien plus dangereux. Quelque chose que je n'avais pas habituellement, d'ailleurs. Enfin, avec ce quelque chose, j'étais parti de chez moi.

Plutôt que d'aller traîner les rues – je savais pertinemment que je me passerais les nerfs sur un pauvre passant innocent s'il y en avait un et je ne voulais pas – je pris la direction de la campagne. La plage, à cette heure-ci, c'était encore blindé. Les champs, très peu pour moi. Mais la cascade... Elle devait être superbe, avec la lumière dorée et mystérieuse de la pleine lune. Surtout qu'on voyait plutôt bien par un temps pareil. L'accès ne fut pas aussi simple qu'en plein jour, certes, mais il n'y avait pas non plus de quoi paniquer et déclarer forfait. Cela ne donna que plus de goût à mon arrivée à la cascade. Comme je m'y attendais, le lieu était désert. Un demi-sourire un peu carnassier étira mes lèvres, tandis que je m'asseyais sur une grosse pierre plate. Je pris le temps de réfléchir. Assez vite, des pensées diverses et variées m'attirèrent jusqu'à elle, me plongea dans une réflexion qui laissait un sourire assuré pendu à mes lèvres. Ensuite, il y eut un craquement et mes muscles se tendirent, imperceptiblement. Mon sourire carnassier s'élargit d'autant plus. Ne me dites pas que j'allais avoir de la compagnie, quand même ? Ah au fait, vous ai-je dit à quel point je pouvais être inquiétant, ainsi vêtu ? J'ai en tout cas du oublier de préciser que la capuche était rabattue sur mon crâne et ne laissait deviner qu'un visage dans l'ombre, plus sinistre qu'il ne l'était réellement ?

Alexandre Ҩ Aislinn

« La nuit m'appelle... »

J'étais théoriquement bien tranquillement dans mes pensées. Le fait d'être seul au bord de cette cascade, en pleine nuit, voilà qui était parfait pour me détendre. J'avais les nerfs prêts à craquer ces derniers-temps. J'étouffais dans mon appartement. J'avais donc pris le parti de sortir et de respirer un grand coup le calme de la nature. C'était une technique payante, puisque, au bout de quelques minutes seul, j'étais plus calme, moins tendu. Toujours aussi inquiétant dans ma tenue sombre et d'un genre typiquement peu fréquentable, mais dans ma tête c'était posé et c'était d'ailleurs bien ça l'important. Mon corps était tout à fait relâché, mes muscles détendus. Après ce craquement, où rien n'était apparu, j'avais fixé la cascade pour me vider la tête. Et ça avait marché. Mouais enfin sans rebondissement c'est pas drôle...

Et alors qu'il était impossible de s'y attendre, un flash. Pas un flash d'orage, non, le ciel était clair et dégagé, l'ambiance tiède et sèche. Un flash. Allez savoir pourquoi. Je n'avais pas commis d'excès de vitesse pourtant. Bah non, j'étais assis sur une pierre, là. Je finis donc par tourner la tête, intrigué, mais aussi de nouveau sur mes gardes. Non mais ce n'était pas habituel ça, d'avoir le droit à un éclair lumineux – non pas de génie – en pleine nuit dans un coin paumé comme celui-là. C'est là que je surpris une silhouette, assurément féminine malgré sa tenue, un appareil photo à la main. Euh, c'est pas que je ne suis pas d'accord mais je ne suis pas d'accord. Je ne fais pas partie du paysage. Je refuse d'être sur une photo. Nah. Caractère à chier ? Oui et pas qu'un peu ! Comprenez bien : Je ne suis pas un objet que l'on pose dans un coin pour faire beau.

Je finis par esquisser un mouvement. Il faisait, allez, quoi ? Dix degrés ? A tout casser. Pourtant j'étais bien et je voulais sentir le frais sur ma peau. Je me fichais pas mal de la présence d'une femme dans les parages. Ce serait bien la première fois qu'une femme m'empêcherait de faire ce que je voulais. J'étais plutôt du genre à ne pas me formaliser de ce que pensaient les gens. Alors, pour commencer, j'enlevais la capuche de mon sweat, pour laisser apercevoir mon visage, une seconde, un sourire indescriptible aux lèvres. Quelque chose d'assez carnassier et amusé à la fois, une pointe de dédain ajouté là-dessus. J'enlevais alors d'un mouvement mon sweat, pour me retrouver en tee-shirt. Simple, blanc, qui laissait apparaître mes tatouages par sa longueur mais aussi en légère transparence. Je me levais alors, mes doigts effleurant par réflexe la poche où se trouvait mon téléphone et autre chose, au cas où, même si la demoiselle ne semblait pas dangereuse. J'en jetais, du haut de mon mètre quatre-vingt-deux, style bad guy et regard luisant. Pourtant, ce n'était pas la fille qui m'intéressait, non. C'était le début d'un jeu, peut-être. J'avançais près de l'eau, comme si elle était absente. J'observais mon reflet dans le calme miroir de l'eau, loin des remouds de la cascade.

Alexandre Ҩ Aislinn

« La nuit m'appelle... »

Disons que finalement cette petite sortie nocturne n'était pas trop mal. J'avais réussi à trouver des réponses à certaines de mes questions. Le calme de la nuit était bien loin de m'impressionner, au contraire même, c'était mon élément parfait, ça. Homme de la nuit que j'étais. Et il avait fallu que cette fille vienne me photographier pour me sortir de mon calme. Je décidais de ruser, de jouer. Je ne savais strictement rien d'elle. J'allais voir ce qui se passait et aviser en temps et en heure. Non, je n'étais pas vite stressé par l'inconnu, encore moins par les inconnues. La nuit n'avait rien d'inquiétant pour moi même pas avec de telles rencontres. Une photographe, voilà qui ne doit pas être fort dangereux... Elle ne pouvait pas être plus dangereuse qu'une des parisienne que j'avais côtoyé de près pendant mes plus jeunes années.

Alors, je m'étais légèrement dévêtu, presque avec dédain, me contrefichant de ce que la miss pourrait bien faire ou penser. Je n'étais pas de ceux qui se formalisent de ce que des inconnus pensent. Je ne suis pas de ceux qui attachent trop d'importance aux apparences ou aux convenances. Non, bien au contraire, j'étais de ceux qui vont de l'avant sans se formaliser et au dessus desquels l'opinion passe sans les effleurer. Alors, en tee-shirt, debout près de l'eau à regarder mon reflet sur le lac d'argent, j'étais tout à fait serein. Je me contrefichais d'ailleurs bien de ce que la nana aurait pu faire. Je n'avais pas peur, j'étais réactif, elle ne ferait pas le poids, quoi qu'elle tente. Sourire assuré et un brin moqueur.

Pour un mec de la rue de ma trempe, chaque bruissement avait une origine. C'est ainsi que j'entendis la frottement des pas sur l'herbe. Un rapide mouvement des yeux m'apprit que la demoiselle avait bougé et visiblement elle venait vers moi plus qu'elle s'en allait. Mon regard retourna tout de suite vers l'eau et c'est ainsi que sa silhouette se dessina à côté de la mienne. Nouveau sourire arrogant. L'inconnue s'approcha près, et finalement elle fut en mesure de me murmurer quelque chose à l'oreille. Chose qui m'arracha un petit ricanement clair dans l'air immobile du soir. Aurais-je une fois de plus piégé une pauvre gamine avec mon physique plutôt agréable pour ne pas dire plus et passer pour vantard ? Si elle voulait jouer avec sa voix sensuelle, elle ne serait pas déçue parce que j'étais en forme pour le coup et j'étais capable de jouer selon mes règles sans accrochage. Ne cherchez pas trop où je veux en venir, vous allez vous faire mal au crâne sinon.

Mon sourire arrogant devint une esquisse pleine de charme, mon regard rendu luisant par la lune était juste irrésistible. Un bleu d'azur rendu argenté par la lune, voilà qui était assez envoûtant. La nuit m'allait à merveilles avec son drapé sombre. La pleine lune était mon alliée, ce soir. C'est avec une voix plutôt légère, pas fort profonde, rauque et un soupçon trop assurée peut-être. Ma voix, au naturel. Elle collait peu au personnage que j'étais, un bagarreur, un meneur, un leader, mais surtout un gars dangereux. Mais je composais avec.

« Peut-être. Mais personne ne me l'a demandé. »

Un pas en avant pour voir si elle souhaitait jouer. Je lui en donnais la possibilité, à elle de la saisir si au moins elle le désirait. Pas un remord, l'heure n'était pas à se morfondre et se confondre en excuses d'être celui que j'étais.

Alexandre Ҩ Aislinn

« La nuit m'appelle... »

Des défauts et des qualités, voilà de quoi lister longuement afin d'obtenir un sacré paragraphe. Parce que j'avais mon caractère à part entière. J'étais énorme de par le fond de mes pensées. Toujours capable de tout, le pire comme le meilleur. D'entrer dans un jeu sans morale ou encore d'oublier mes mœurs légères pour qui en vaudrait la peine. Et elles étaient peu à le valoir. Cette fille, là, qui venait de me photographier et de s'approcher pour me murmurer à l'oreille... Elle était de celles avec lesquelles on joue. On s'amuse. On se défoule. De celles que l'on oublie une fois que le jeu est fini. Il leur reste un visage, un souvenir, mais rarement un nom. Tout au plus un prénom volé. Pour le moment, contentons-nous de jouer.

La demoiselle n'avait guère esquissé le moindre mouvement lorsque j'avais ricané. Bien que loin d'être le danger numéro un, elle aurait pu se méfier de moi. Ça me montrait au moins qu'elle n'avait pas peur. Lorsque je lui fis face, du haut de mon mètre quatre-vingt-deux avec ma carrure qui en imposait, elle eut un sourire plus fort. Son regard plus sombre se planta dans le mien, d'azur fait, et je soutins son regard, presque arrogant, sans pour autant l'écraser sous mon habituel dédain. Elle me dit de considérer comme dit le fait que j'aurais pu me dévêtir plus. Demi-sourire arrogant. Puis j'avançais d'un pas, joueur. Et au lieu que la demoiselle ne recule, elle ne bougea guère, baissant simplement son regard sur mes muscles aiguisés par la pratique sportive. Son sourire se fit plus prometteur et la demoiselle posa ses mains sur mon vêtement.

La suite ne serait que jeu. Elle me dévêtit et je ne fis que suivre le mouvement, avec des gestes plutôt lents qui mettaient en exergue la souplesse et la puissance de mon corps. J'étais loin d'être contraint et forcé. Mais j'avais décidé de la jouer comme ça aussi. Délicieux et convoité. Cela flattait beaucoup mon ego surdimensionné. Mes mains effleurèrent les siennes en partant des poignets et, du bout des doigts, je récupérais mon haut, arguant que ce contact pourrait peut-être l'électriser un peu plus. Puis elle s'éloigna, tenant de nouveau son appareil. Je reculais, jusqu'à sentir la pierre plate derrière moi. Un sourire aux lèvres, j'y posais négligemment le bout de tissu. Mon regard prit son adorable teinte de mystère et de dangerosité et en un instant, je me transformais de nouveau en l'homme de la rue que j'avais été. Certes, à l'époque j'étais plus fin, moins imposant, mais j'avais toujours dicté ma loi. Assuré, arrogant, méprisant... Ce cocktail détonnant coulait de nouveau en moi et je regardais la jeune femme. Sa question, ainsi que sa voix moins joueuse, m'arrachèrent un sourire à faire fondre toutes celles qui aimaient le danger.

« Jamais. Je ne suis pas un objet que l'on pose pour remplir une zone de vide sur un bout de papier imprimé. »

Arrogance, mépris, encore. Mais aucune froideur, aucune méchanceté. Juste ce que j'étais à l'état brute avec les femmes. L'essence passablement charmeuse – ravageuse, irrésistible – en moins. Parce que même si je ne me l'avouerais pas volontiers, une autre femme avait pris possession de mon cœur et méritait mon attachement. Pour le moment, je ne faisais que jouer, sans utiliser mon infaillible charme, avec mes yeux bleus et mes cheveux blonds, mon beau minois. Après, si l'étau se resserrait, je ne dirais pas non. Après lui avoir répondu, je m'assis sur le rocher, faisant preuve d'une prestance et d'un charisme assurément uniques et miens.

Ce jeu promettait d'être des plus agréables. Déjà, lorsque j'avançais vers la jeune femme, cette dernière ne prit pas peur et ne recula pas. Non, elle préféra me déshabiller et je ne me fis pas plus prier que ça, la laissant tirer mon tee-shirt. Je n'avais pas honte de mon corps, loin de là même. Athlétique et puissant. Certes pas fin, mais je n'avais pas de graisse superflue, c'était déjà ça. Bref. Le sourire carnassier... J'avais le même que la jeune femme, et cela promettait un moment fort. Si nous avions tous les deux la même envie, le jeu n'en serait que plus fort. Je savais le désir comme je savais le faire connaître. Et visiblement, à cela, nous étions tous les deux plutôt forts. Pourquoi je vous disais ça ? Peut-être à cause de la suite de la conversation... Et ben oui ! J'avais commencé par lui dire que non, je n'avais jamais posé, parce que je n'étais pas un objet d'exposition. Elle rit et me rétorqua quelque chose qui me fit rire moi aussi. Puis elle s'approcha, presque féline, et ce qu'elle ajouta m'étira un sourire carnassier. Sans qu'elle n'ait le temps de comprendre, je m'emparais de son poignet d'un geste ferme et déterminé. Le but n'étant pas de la blesser, l'étau n'était pas réellement serré, mais cela dévoilait à la fois ma force physique, ma rapidité, ma réactivité, mais aussi ma force de caractère. Je l'attirais contre moi et lui murmurais à l'oreille, après avoir délibérément effleuré sa nuque :

« Tu n'aurais pas le temps de courir. »

Voix parfaite pour l'occasion. Je la laissais filer, détournant mon regard de l'objectif. Mes muscles demeuraient tendus. J'esquissais un sourire charmeur et fier à souhaits en la regardant de nouveau. J'avais tout d'un prédateur. Le jeu de la lune d'argent sur mes marques de nuit était superbe. Les reflets étaient élégants. Tout n'était que naturel. Mon regard chercha un moment à fixer le sien à travers l'objectif. En fait, j'avais vite été happé dans le jeu. Mouvements, regards. J'étais un fauve face à l'objectif. Et finalement, son autre idée. C'est un regard légèrement étonné que je posais sur elle. L'eau ? Elle était sûrement glaciale. Je penchais curieusement la tête sur le côté, avant de m'accroupir au niveau de la surface et de goûter la température du bout des doigts. Fraîche, mais pas plus que l'air ambiant, j'ai envie de dire. Bien au contraire, même.

« D'accord... T'es pro ? »

Voix légère, sourire assuré, regard pétillant. J'eus la très bonne idée d'enlever mon pantalon et mes chaussures. Ce serait ça de sec, au moins. J'avais tout largué juste à proximité de la cascade. Il y avait une plage de galets par laquelle je descendis. J'aurais bien sauté. Ce n'était pas la trouille qui m'en empêchait. Non, je ne connaissais juste pas le fond. Là pour le moment je n'avais que de petits gravillons plein d'algues fibreuses sous les pieds et visiblement ça plongeait mais avec la chance que j'avais, j'aurais atterri la tête la première sur un rocher à trente centimètres de fond, merci mais non merci ! Je m'enfonçais donc sans sourciller dans l'eau. Bon, là, j'avais l'air docile et gentil, mais il ne fallait pas trop se fier aux apparences, non plus. J'étais parfois conciliant, comme là pour m'enfoncer lentement sous le millier de gouttelettes qui constellèrent vite mon corps. Je remarquais qu'au plus le fond m'arrivait à la taille : raison de plus pour ne pas plonger tête en avant. Mon regard se fixa de nouveau sur la photographe, la défiant d'immortaliser l'instant mais aussi, peut-être, de me rejoindre.