Direction Etretat. Petite ville balnéaire, assez typique de la Normandie. Pas d'énormes hôtels particuliers, pas de terres aux valeurs inestimables. Bref, rien qui puisse intéresser mon charmant et surtout richissime père. Peu m'importait. J'étais simplement libre désormais. Jeune diplômé venu m'installer loin de la famille. La liberté, quoi. Bon, OK. J'avais bien profité du pognon de papa avant de partir. Il fallait dire qu'on ne se paye pas une Audi A5 Sportback sans un minimum d'argent. Je ne l'ai même pas choisie, cette voiture, c'est mon cadeau de départ de la maison. Bon, OK, elle me plaisait bien quand même. Excusez-moi. Je ne suis pas flambeur, mais j'aime les belles choses. Demain, je n'irais pas à genoux voir pap's pour qu'il paye mes fins de mois parce que je m'étais fais trop de plaisirs mais bon, j'ai vécu un minimum dans le faste, ça laisse des traces... Mais je détestais quand même frimer, et donc elle était bien ma voiture, mais bon, j'allais marcher sur Etretat, c'était clair.

Bref, je faisais rouler la voiture. J'avais beau avoir de la puissance sous le moteur, je restais suffisamment prudent. En plus le paysage était couvert de neige et ça zigzaguait sur une route qui m'était tout à fait inconnue. C'est ainsi que je remarquais une voiture arrêtée sur le bas côté, warning enclenchés, une jeune femme accoudée contre. Je ralentis donc, me disant que c'était peut-être normal mais à vrai dire, je trouvais que ça clochait. Moins trois degrés Celsius... Il faisait trop froid pour que la jeune femme se balade dehors de son plein gré. Je m'arrêtais donc, me garant sur le côté. Je sortis ensuite de la voiture. Et là, excusez-moi, mais il fallait dire que j'en imposais un minimum. Déjà par ma carrure. Un mètre quatre-vingt et plutôt bien foutu niveau musculature. Ensuite, un visage à la peau clair, aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Et pour finir ma tenue. Bien loin de l'habituel jean baskets des personnes de mon âge. C'était un pull à col montant noir, avec un pantalon clair, une paire de chaussures de ville, une écharpe assortie à mon pantalon juste passée élégamment. Oui, enfin j'avais une certaine classe quand même quoi. Je m'adressais à la jeune femme d'une voix plutôt agréable et surtout loin d'être inquiétante:

« Vous avez besoin d'aide? »

Ne connaissant pas d'avance sa réponse, je ne m'approchais pas plus prêt.

C'était certain, quand on rencontrait une fille comme celle-ci sur le bord de la route dans de pareilles conditions, il était impensable de ne pas s'arrêter? Je m'explique. Elle était habillée - encore heureux, je sais, mais ne commencez pas à m'interrompre on n'y arrivera jamais sinon... -, mais d'une telle façon qu'on ne voyait que son petit nez qui dépassait, pour ainsi dire. En plus, elle faisait toute frêle habillée comme ça. Elle parut soulagée de voir la voiture ralentir et s'arrêter. Je sortis donc.

Et là, son regard d'émeraude me fit un drôle d'effet. Elle avait l'air complètement abasourdie de me voir sortir de ma voiture. Je n'étais pourtant pas un dieu vivant, si? Bon, OK, niveau physique, à la question « est-ce que tu te trouves beau ? » je pouvais répondre que je n'avais pas de complexes. Bon, OK aussi, un mec de 24 ans au volant d'un petit bijou de la sorte, c'est pas super courant. Enfin voilà, cela lui passa lorsque je lui proposais de l'aide. Elle accepta volontiers et semblait plutôt à l'aise, puisqu'elle me vouvoya sans attendre. Je lui souris avant de me pencher vers ma voiture, coupant le contact et récupérant les clés d'un seul et même mouvement. Je fermais ensuite la portière avant de me diriger vers la jeune femme et sa voiture.

« C'est pas spécialement mon domaine mais on ne sait jamais. Au fait, je m'appelle Gabriel. »

Le de Bressac, c'était l'option que je n'avais pas prise. Non mais c'était un peu me la raconter quoi. Et voilà donc un gosse de riches le nez dans le moteur d'une vieille voiture... Tout un programme. C'était le casse-tête chinois. Enfin, le même effet quoi. Je savais faire deux ou trois trucs sur une voiture, comme vérifier que la batterie était en état de marche, et pour le coup c'était le cas. Bref, aucune idée de ce qui pouvait bien se passer là-dedans en fait... Rendons-nous à l'évidence... Je ne savais pas..! Passant donc une main le long de ma nuque, je tournais mon regard vers la jeune femme.

« En fait, la mécanique et moi ça fait carrément deux. »

La classe Gab. Totale trop top. La honte oui. Bon, allez, maintenant il fallait trouver une idée constructive. Non mais parce que des idées, ça, j'en avait, mais alors de constructives, beaucoup moins, mine de rien... La seule qui me venait était d'appeler un dépanneur. Oui, je sais, je fais dans le comique puisque je n'avais en aucun cas le numéro d'un dépanneur... Et encore moins sur Etretat ! Je proposais tout de même quelque chose à la demoiselle :

« Si tu veux joindre quelqu'un, j'ai mon portable sur moi. Tu as une idée de là où il pourrait y avoir un garage? »

Non mais on ne savait jamais... Si elle était, tout comme moi, juste de passage, ou alors nouvelle, et bien on n'aurait pas l'air fins tiens. N'empêche que je pouvais toujours lui proposer de l'emmener jusqu'à un garage et de là appeler un dépanneur pour sa voiture. De toute manière, je doutais pas mal qu'elle démarre, là... Par contre, il caillait. Je frottais donc mes mains l'une contre l'autre pour les réchauffer un peu au moins.

Elliana ? Joli prénom. Pas courant, mais plutôt marquant, je dois l'avouer. Et surtout élégant. Il collait bien à la personne. Je lui souris en retour. Je n'étais pas un grand bavard, même si je n'étais pas pour autant mué. Tout dépendait de s'il y avait quelque chose à dire en réponse ou non. Mon métier m'avait appris à ne pas découvrir avec trop d'avance ce que j'avais à dire, donc j'étais devenu encore plus discret. Mon travail c'était de dire ce qu'il y avait à dire sans pour autant laisser une faille dans la façon de le dire. C'était déjà dans ma nature et c'était devenu quelque chose de normal, y compris dans ma vie de tous les jours.

Enfin voilà, je devais avouer que j'étais incapable de savoir ce qu'il y avait qui clochait sur cette voiture. Je le dis donc à la jeune femme, qui rit. Oui, en effet, la situation était plutôt comique. Je faisais tâche dans le paysage, mine de rien. Et puis ce n'était en aucun cas de la moquerie donc je pouvais très bien le prendre. La jeune femme sourit alors en haussant les épaules avant de me répondre et... Là, elle me scotcha plutôt, ouais. Elle avait bien dit ce que j'avais entendu ? Apparemment, puisqu'elle piqua un fard en détournant le regard. Je ne relevais pas, me contentant de détourner le regard sans sembler fuir. Non mais oh, c'était un coup à me griller. Je préférais donc faire comme si je n'avais rien entendu, mais je l'avais parfaitement entendu.

La jeune femme m'annonça alors que malgré le fait qu'elle soit ici depuis quelques temps, elle ne connaissait pas de numéros pour un dépanneur. Bon, et bien cela compliquait légèrement les choses... Je fis une moue qui signifiait que la situation m'ennuyait. Non, mais pas du genre je m'ennuie et j'ai envie de faire autre chose, plutôt du genre qu'on était coincé et que du coup ça m'ennuyait... C'était embêtant quoi. Elle déposa alors son portable hors d'usage dans sa voiture et moi, je réfléchissais. Ben oui, de temps en temps il fallait. J'étais plutôt silencieux pour le coup. N'empêche que la miss avait retrouvé le sourire et que cela m'évitait d'être plutôt maussade. Alors, elle m'annonça qu'elle habitait à Horse Beautiful ; ma destination en bref. Je lui souris en retour.

« C'est justement ma destination. Allez, monte dans la voiture, je t'y dépose. Par contre je ne sais pas du tout comment y accéder, mon GPS ne connaît pas l'adresse... »

GPS embarqué, bien entendu. Le petit bolide noir qui nous attendait était un véritable bijou de technologie, avec GPS embarqué, téléphone intégré, Bluetooth à l'intérieur, lecteur cd et clé USB pour la musique... Sans compter que quasiment tout marchait à la reconnaissance vocale et que les sièges en cuir étaient des sièges chauffants. Le kiffe total, cette voiture, même si c'était hors de prix et juste bon pour frimer... Tout ce que je n'aimais pas. Je montais donc en voiture, invitant la jeune femme à faire de même. J'étais tout ce qu'il y avait de plus avenant, donc elle n'avait pas trop de raisons de s'en faire, logiquement. Je mis le contact et la voiture se mit en marche. Le moteur ronronnait agréablement. L'électronique se mit en route rapidement et le chauffage se diffusa suffisamment vite pour nous réchauffer agréablement. Je démarrais donc. Malgré la précision et la puissance de mon véhicule, je conduisais prudemment. Déjà, je le faisais toujours, sauf cas d'urgence vitale. Et en prime, j'avais quelqu'un à bord et je doutais que ses proches soient très contents d'apprendre qu'un jeune con avait voulu faire le malin et l'avait plantée dans le décor.

« Et tu es cavalière à Horse Beautiful ou tu y travailles ? »

Oui, je meuble un petit peu parce que sans conversation ça allait être triste...

Gabriel Ҩ Elliana

« Le classique coup de la panne »

Non mais avouez quand même qu'il y avait de quoi en perdre son latin quand une charmante inconnue nous jetait un truc pareil lorsqu'on avait essayait sans succès de comprendre ce qu'il se passait d'étrange avec sa voiture qui était morte. Moi, classe ? Oh et bien pas plus qu'un de Bressac de base. Il aurait fallu voir mon frère ou mon père ! J'étais d'un banal déconcertant à côté d'eux. Mais ma fois ce n'était pas plus mal, j'étais bien dans ma peau tout de même. Je n'avais pas pour vocation de faire valoir ma belle gueule. Non, ce n'était que mes qualités que je mettais en exergue. Je n'étais ni mon frère, ni mon père. Heureusement pour moi.

Bref, la demoiselle m'accompagnerait en voiture jusqu'à l'académie. En plus je n'avais pas de GPS donc elle pourrait m'indiquer la route, normalement. Je fis en sorte d'être encore plus avenant qu'à l'accoutumée. Non mais bon, on ne sait jamais ! Qui se serait attendu à rencontrer un jeune homme bien mis comme moi dans une voiture de cette classe ? Et puis bon, est-ce qu'un autre aurait réfléchi à ce que pouvait avoir la voiture en plongeant le nez sous le capot ? Il y avait deux ou trois trucs qui pourraient peut-être faire tiquer la demoiselle donc pas question de risquer de l'inquiéter. Elle ne craignait rien avec moi, c'est clair.

La miss attrapa donc ses affaires dans sa voiture avant de monter dans la mienne. Bon et bien vu son sifflement elle devait être un peu surprise de l'intérieur mine de rien. Non mais c'était vraiment à la hauteur de l'extérieur de la voiture. On était bien dans tout ce luxe. Même si j'aurais pu m'en passer, voyez-vous. Mais bon, bref ! Je tentais de faire la conversation avec la demoiselle tout en démarrant tranquillement ma voiture pour rouler bien comme il faut. Bon, par moments le regard de la demoiselle se faisait sentir sur mon visage et je lui jetais un regard à travers le rétroviseur. Elle me répondit alors sur la raison de sa présence dans les lieux. Je tournais une seconde mon regard bleu de la route pour la regarder, l'esquisse d'un sourire avenant aux lèvres, avant de regarder de nouveau la route tout en répondant :

« Ça ne doit pas être simple d'entrer dans un monde fermé comme celui-là sans avoir beaucoup d'expérience. C'est pas un peu machiste comme milieu ? »

Ma voix était très égale, posée. Inquisitrice sans être pressante. Un bon avocat en somme, qui posait les questions avec légèreté. En général, les personnes me répondaient sans se faire prier. Et puis bon, si Elliana ne me répondait pas ce ne serait pas dramatique non plus ! Elle finit par me dire de tourner avant de continuer de parler. Je mis le clignotant avant de tourner, ralentissant pourtant peu parce que la voiture tournait superbement bien et avait assez de puissance pour ne pas ralentir. Non mais c'était quand même du plaisir de conduire un bolide pareil et, sérieusement, j'avais de quoi m'amuser sans prendre trop de risques. Je répondis ensuite à la jeune femme.

« Oui je viens y monter, parce que je ne me vois pas vraiment travailler et ne rien avoir pour me changer les idées. Et puis c'est un bon pied à terre quand on travaille dans le coin. »

Mon regard restait sur la voie étroite et sinueuse en campagne. Rase campagne, je vous jure ! Il n'y avait pas grand chose de visible à la ronde. Était-ce la faute des légers vallons ? Peut-être, ou peut-être pas, je n'en savais rien. Parfois, je tournais le regard vers la jeune blonde qui était montée avec moi. Je continuais de lui faire la conversation, tranquillement, pour dire de ne pas laisser un silence qui pourrait éventuellement être pesant s'abattre sur l'Audi.

« Tu es arrivée dans la région depuis longtemps ? »