Raven Heart était l'un des rares étalons pie de l'académie. C'était aussi le seul pie noir et sûrement l'un des chevaux les plus talentueux. Il était vraiment du genre très puissant. C'était un sauteur hors pair, plein de force, d'équilibre, capable de sauver toutes les fautes de son cavalier par une technique et un style splendides. Il était superbe, pie noir, élégant, grand, avec une tête qui retenait l'attention. Pour cause, d'un côté il montrait sa belle-face à la peau rosée et de l'autre un profil noir avec une bande blanche qui le coupait presque au milieu, entre l'œil et les naseaux. Il avait un regard intelligent. Il faisait partie de ces chevaux qui avaient la faculté de tourner avec aisance au-delà de cent-quarante-cinq centimètres. Le mètre soixante était à sa portée, bien piloté. Mais il avait un défaut énorme. C'était ce que l'on qualifiait généralement de ressors. Et oui.

Le mâle était assez compliqué à gérer. Il était gentil, pas vicieux, mais il jouait généralement à ce qui s'apparentait à du ping pong. En effet, paint-horse de sa naissance, l'entier pouvait partir ventre à terre, filer en sauts de mouton, tourner sur place à trois-cent-soixante degrés et repartir aussi sec, tout comme il pouvait s'arrêter la croupe au sol dans une glissade et redémarrer sur les chapeaux de roue. Raven était un cas, quand il s'agissait de faire le pitre. Et il fallait être très bon cavalier et le connaître relativement bien pour être capable de tenir en selle lorsqu'il bondissait comme un diable. Et ça, c'était impossible d'y échapper ! Mais Raven était fort et adroit dans ses bêtises et il possédait un équilibre tel qu'il était impossible de le piéger pour qu'il chute. C'était bien pour cela qu'il n'était pas piégeable sur les barres ! Mais ne croyez pas qu'il soit mauvais, non, loin de là ! Il a avait par dessus tout un caractère très agréable. Une fois concentré, il pouvait devenir très agréable à travailler, même sur le plat, et avec sa foulée et son courage, on pouvait en faire un bon cheval de cross. En extérieur, il se montrait si posé qu'il pouvait sortir seul en balade. Mais il restait un grand taquin et il y avait des moments où il était simplement usant.

Ce jour-là, il allait faire la connaissance de sa nouvelle cavalière. Déjà, cette idée, s'il le savait, l'aurait fait râler. Son seul cavalier, c'était Daniel Crowner. Enfin, Dan quoi, le moniteur. Ils avaient fais leurs armes en concours tous les deux et c'était devenu de vieux complices. Un long moment, ils avaient été séparés mais Raven était revenu à son cavalier lorsqu'il dut être vendu. Oui, Dan l'avait racheté et le beau pie se portait mieux que jamais. A plus de treize ans, il était encore assez en forme pour repartir faire la tournée des concours nationaux voire internationaux. Il était fringant, ses muscles étaient affûtés. Il avait le mental pour partir sur n'importe quelles barres.

Il songeait à ses rêves de victoire en grignotant son foin lorsqu'un drôle de quelque chose vint le déranger. C'était du bruit. Il releva la tête, ses crins voletèrent, sa crinière courte s'ébouriffa et son toupet vint recouvrir son regard noisette. Il regarda l'humaine entrer dans son boxe, s'asseoir. Ses naseaux s'ouvrirent et ses yeux s'arrondirent sous l'effet de la surprise et le bel entier, muscles tendus, ronflant tout en humant l'air ambiant, avança de deux pas qui démontraient sa puissance brute. Il s'arrêta au niveau de la cavalière, baissa les naseaux vers elle et tendit son encolure vers elle. Pourquoi sa crinière retombait-elle autant devant ses yeux ? Lui, son toupet ne le couvrait pas tout entier ! De sa grosse lèvre supérieure, il tripatouilla les cheveux de la jeune femme et posa un brin brusquement sa tête contre la main de la cavalière. Il n'était pas la délicatesse même, mais il n'était pas violent ni méchant. Il soupira, fermant les yeux un instant.

Ouais et ben elle état gentil la fille qui était rentré dans son boxe, mais Raven s'en fichait royalement en fait. Elle était pas drôle, parce qu'elle ne se mangeait pas ! Alors quand c'était Dan qui venait, il avait le droit à des bonbons qui croquent craquent sous les dents, des carottes qui croquent cassent, ou des pommes toutes juteuses toutes baveuses. Là, il avait juste une humaine avec plus de crinière qu'un étalon shetland ! En plus elle ne bougeait pas, on aurait dit un vieux fourbu qui avait trop mal aux pieds... C'était gai tout ça !! L'étalon pie éternua alors très peu délicatement, juste avant que la cavalière ne se lève ? Vachement impressionné le Raven... Il se contenta de remonter la tête. Ses muscles frémirent lorsque la main de la femme caressa son encolure. Et, disons-le, le pie se faisait chier comme un rat mort là. C'était bien beau, mais ça allait deux minutes... Il plia donc l'encolure et entreprit de fouiller avec le nez les poches de la cavalière, sait-on jamais qu'il ait raté un truc comestible...