Albatros était dans son pré quand on est allé le cherché. Avec lassitude il avait marché jusqu’aux écuries. Un palefrenier l’avait pansé avec soin et le soleil hivernal faisait reluire sa robe d’or. Je soupirai alors que le froid me picotai les membres et le ventre. Les yeux à demi clos je profitai des soins que l’on me prodiguait. Je ne cherchais pas à gigoter non je restais calme, comme à mon habitude. Faire l’idiot ne m’intéressait pas. Je trouvais que c’était une perte de temps inutile. Il me mit un tapis épais et une selle noire. Un filet noir aussi, avec un mors à olive, simple.

Je me détachai et m’emmena dans la carrière pour me faire détendre au pas, au trot et au galop. Ma facilité à répondre aux aides aidait beaucoup le cavalier qui travaillait beaucoup mes allongements. Il voulait des galops soutenus, bourrés d’énergie et je lui offrais sans trop de mal. Mes longues pattes m’aidaient beaucoup à étendre mes foulées. J’étais très sur la main et mes allures restaient propres peu un porte la situation. On m’avait plusieurs fois récompensé pour mes allures sublimes. Sans me vanter, je devais être assez agréable à monter.

Il travailla pas mal mon galop pour que je le garde énergique. Etrange souvent on me demandait plutôt de beaucoup m’arrondir. J’obéissais à l’aveuglette pourtant, me laissant diriger, sans rechigner, toussant parfois. Il avait des aides plutôt légère et cela m’arrangeait, je préférais ça à des gros bourrins. La détente avait été plutôt calme. Malgré tout, les demandes constante d’accélération m’avait légèrement rendu fou. J’étais maintenant bien réveillé et avais de l’énergie à revendre.

Je fus plus que surpris lorsqu’il descendit de mon dos. C’est tout ? Mais quelqu’un arriva à la porte de la carrière et l’ouvrit. Le palefrenier s’approcha, je le suivais. « Ah Jesse ! J’t’ai détendu la bête, tu peux le faire travailler :) » Je secouai la tête, d’ennui et écoutai leur charabia d’une oreille distraite.

La période était compliquée pour moi, puisque j'avais eu des nouvelles d'outre-atlantique et que cela m'avait secoué, j'en étais arrivé à me poser des questions et autre. Bien sûr, Kayleigh était là, elle me soutenait, c'était tout ce dont j'avais besoin. Mais je passais aussi pas mal d'heures en selle pour dire de me changer les idées. Comme ce matin, où je m'étais levé tôt. Il avait fallu remplacer un palefrenier aux abonnés absents depuis trois jours sans nouvelles, bref, il y avait les boxes à pailler, la distribution de granulés, puis celle du foin, l'enrubanné aussi pour les poulinières et les chevaux qui travaillaient fort, puis la sortie en main, au marcheur, au rond de longe, au paddock ou encore au pré des chevaux. Et après cela, il fallait encore balayer les dalles bétonnées, sans oublier de panser les chevaux qui étaient restés dedans. Pour ma part, plutôt que le pansage, je montais un piquet de chevaux.

J'en avais fini avec Piazor et Raven. Deux chevaux montés en moins de deux heures, c'était sportif, surtout que je les montais à la chaîne. Raven Heart venait de repartir avec un palefrenier. Je m'étais dis que ce serait le moment idéal pour une pause, aussi avais-je enlevé ma bombe pour pouvoir fumer une clope. Enfin, clope améliorée, si vous voyez ce que je veux dire. Je sais, je ne suis pas le bon exemple, et loin de là même. En plus, un palefrenier venait d'arriver avec un akhal. Arf oui, mince, il me restait Albatros. Et l'autre pale' qui faisait son mielleux, juste tout à fait insupportable. Sans même le remercier, je remis ma bombe, ma clope toujours en cours, Je ressanglais le mâle et montais dessus avec l'aisance que donne l'habitude. Il avait des guêtres et tout, donc je me décidais à aller pousser un peu dans le cross. Bonne idée. Je réglais mes étriers en l'emmenant vers la vaste étendue, en finissant ma clope, que je finis par écraser contre mon talon et lâchai dans l'herbe.

C'est alors que je repris mes rênes pour tendre en décontraction le cheval tout en entrant dans le cross. Sans perdre de temps, je le mis au trot, trot enlevé, pour le brasser dans l'herbe et voir comment il se comportait.

D’accord, changement de programme pour moi apparemment. Avec lassitude, je soufflai. L’autre empoigna la paire de rênes qui me retenait prisonnier et soumis. D’une marche lente, je le suivais jusqu’à … ou plutôt jusqu’au terrain de cross. Le cross, ce n’était pas forcément ce que je préférais le plus, mais apparemment j’étais doué, puisque j’en faisais assez souvent. Je n’étais pas très motivé et mon "nouveau" cavalier n’avait pas l’être de l’être beaucoup plus que moi. On me ressangla, je secouai un peu la tête mais pas méchamment. Juste que se faire sangler n’était pas forcément la chose la plus agréable du monde … On monta sur le dos et le petit réglage d’étrier habituel.

Dass un calme olympien je me dirigeai vers le terrain de cross. Le blondinet qui me montait n’aurait sans doute aucun mal à me faire obéir. Je n’étais un rebelle, j’étais tout simplement sensible aux aides. Après tout j’étais un être vivant tout ce qu’il y a de plus normal, donc pas la peine de me monter un bourrin. A la demande de mon cavalier je pris le trot. J’arquai l’encolure à force d’habitude, je n’attendais mes plus qu’on me le demande. J’en avais marre qu’on me le demande, marre qu’on essaye de me détendre alors qu’il aura suffit d’être calme et de bien me faire travailler. Maintenant je le faisais seul, me mettre sur la main.

Je n’étais pas le cheval qui rechigne le travail, se cabre, rut, hennit. Moi je suis le genre de monture qui est lassé d’apprendre, qui ne trouve aucun intérêt au travail. Je ne fais pas forcément d’effort, je ne fais ni moins, ni plus que ce que l’on me demande. Il n’y que les concours … Aah, les concours ! Il n’y a rien de plus sérieux. Là au moins y’a un enjeu. C’est le seul plaisir que je peux m’offrir après de long mois d’entraînement.

Qu'est-ce que vous voulez faire d'un cheval qui est aussi démotivé que moi? Pas grand chose, mais au moins je n'apprendrais pas à voler avant longtemps. Mais il était calme, et dès que nous prîmes le trot, il se posa sur la main. Je me contentais donc de garder un peu de contact et de tension pour l'inciter à rester comme ça sans pour autant l'y obliger. Je gardais le trot un moment, changeant de main, passant partout, croisant les obstacles... C'était histoire de me faire un peu à cet akhal-là, parce qu'il changeait quand même de l'horrible Piazor quoi. Mais c'était le même élevage, juste pas la même lignée. Bref.

Une petite dizaine de minutes plus tard - au maximum - je fis une détente au galop. Le but était que l'étalon prenne de l'amplitude et du mouvement en avant sans me traîner. Je ne doutais pas que cela soit possible, aussi finis-je rapidement la détente au galop. J'avais un peu mis le cheval sur orbite en mettant la jambe, les doigts ouverts sur des rênes tendues. Mais c'était comme ça que c'était drôle. Je repassais au pas, vérifiais la sangle - c'était bon - et pris de nouveau le petit galop, galop assis, en direction d'un petit tronc en plein milieu du cross, avec un abord dégagé, je pouvais arriver droit, on le voyait à six ou sept foulées. Pour un premier saut, je laissais le cheval faire, m'attachant juste à la direction - droit et dans le milieu - et à la propulsion - devant la jambe, avec une poussée des postérieurs sans me tirer vers l'avant - sans oublier l'équilibre pour ne pas panacher. Ce serait mon obstacle de détente et je le passerais deux fois à chaque mains avant de détendre sur plus gros.

En fait, j’étais pas démotivé, juste lassé. Personne ne sait trop comment s’y prendre avec moi, il faut y aller avec des pincettes mais en sachant ce que l’on veut et surtout, le tout sans avoir peur, sans stress. Je suivais les demandes de l’homme, zigzagant si tel était son désir, nullement émoustillé par ces obstacles de pacotille. On me demanda toujours le galop, évidemment, j’étais toujours placé mais légèrement dur dans ma bouche. Comme l’autre pal’ avait déjà fait la détente, mon galop était déjà bourré d’énergie, ample, allongée. J’avais quelques fois tendance à tracter un peu sans forcément le vouloir.

Rapidement, la détente fut finie, heureusement par ce que c’est ennuyant mais en même temps, on ne demande jamais rien de très compliqué. On repassait au pas, j’attendais patiemment les demandes, à l’écoute, mais sentant la main du cavalier effleurer mes flancs alors qu’il vérifier la sangle, je trottinai sur deux ou trois foulées avant de repasser au pas. C’est vrai je suis extrêmement sensibles aux demandes de jambes mais c’est souvent au plus grand plaisir des cavaliers, non ? Tout le monde déteste le cheval mollasson qui a tourné toute sa vie dans un manège pour débutant …

Maintenant, détente à l’obstacle, un simple tronc, isolé, rien de difficile. Je pris un galop énergique mais petit, comme demander par le blondinet. Une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept foulées. Le jeune homme m’ayant dirigé droit, je n’avais plus qu’à sauter avec une facilité déconcertante le pauvre tronc qui trônait, dégagé, dans le parcours de cross. Je poussai également sur mes deux postérieurs, m’assurant une recepions facile, clean, parfaite. On fit de même sur plus gros, me demandant un peu plus d’effort.

Enfin on repassa au pas, soufflant, je me demande quel parcours allait être concocté. Chaque parcours est différent, la différence m’oblige à rester à l’écoute, à tout voir, à m’améliorer pour pouvoir gagner en concours. Je crois que les concours, c’est ce qui me fait vibrer dans la vie … Sans concours je me demande quel serait mon but dans la vie.

C'était un étalon certes pas forcément foudre de guerre, mais plutôt agréable puisqu'il donnait ce qu'on lui demandait. Et puis il avait une vraie foulée de cross, qui nous emmenait de l'avant et je me faisais bien plaisir sur son dos. La détente se passa tranquillement, en plus il était franc sur ses barres et il avait un coup de saut sympa, il était respectueux, bref, une bonne recrue pour nous. Il était un peu sensible sur les bords - je pensais au ressanglage - mais sinon, il sautait bien, droit, il ne baissait pas un antérieur plus que l'autre, il ne montait pas trop fort, il poussait bien des deux postérieurs... Il n'avait pas l'air trop limité par la hauteur, il promettait de pouvoir tourner un peu si on arrivait à motiver une équipe de concours. Top. Bref, j'avais fini la détente et je le laissais marcher.

J'avais décidé de le tester sur un parcours ambitieux. Trop? Peut-être, mais sûrement pas, je maîtrisais ce parcours, le cheval était franc et il avait toutes les qualités nécessaires pour approcher ce que j'allais demander avec aisance. Un, le deuxième tronc de la détente, celui qui était plus haut. Grand galopade bifurquant sur la droite, numéro deux petite caisse pleine, facile à passer dans le galop, ça se prenait dans la foulée, ça s'avalait, il y avait même pas soixante-dix centimètres au galop. A gauche le gué, tout droit la butte, petite marche d'un mètre de piano pour en sortir. Virage un peu serré à gauche, la stère. Là, c'était la difficulté, parce qu'après la butte il y avait un peu de boue, la réception de piano inciterait l'étalon à se mettre sur les épaules et si je ne redressais pas assez, c'était droit dans le décor. Pareil, si on sortait de la trajectoire, c'était droit dans le décor.

Concentré, je pris le trot puis, progressivement, le galop, installant ma qualité de galop pour n'avoir qu'à faire répéter la foulée à mon cheval à l'abord. J'aurais, si la distance sortait, des sauts et des distances aisés. Je me dirigeais sur le un, en équilibre, la main posée, confiant. Prêt à réagir, aussi, la jambe en place pour demander à mon cheval de décoller sur chaque saut bien fort. Tout se passa plutôt bien, comme prévu, jusque le piano. C'était beaucoup plus boueux que prévu. Je cherchais à remettre de l'équilibre, emmenant mes aides pour faire tourner le cheval sans qu'il ne dérape. Même si c'était dur, impensable que je change mes plans. Par contre, je croisais les doigts pour que ça passe, vraiment.

Sous ses ordres je prenais le galop, un bon galop, vraiment. Rythmé, sur la main, très équilibré et réactif à la fois. Ouais, il montait bien alors je réagissais bien. Je faisais mon boulot, il faisait le sien. Au pas, j’en profitai pour me calmer et me préparer à l’effort qui allait suivre mais aussi récupérer ma respiration. Je savais aussi gérer l’effort, comme tout grand athlète j’ai envie de dire. Je sentais que ça cogitais là-haut mais il savait rester posé et j’aimais ça ! Enfin on partit au trot, rapidement je me mis sur la main, détendu. Je pris le galop, cadencé, souple mais bien engagé, comme toujours, la routine.

Premier obstacle, celui de la détente, je l’abordais sereinement, le connaissant déjà, me laissant alors un peu aller. Je reçu le signal et sautai aisément ce petit trop minable. Il me dirigea ensuite sur une caisse plaine après un bon bout de galop. Il m’a pris pour un poney de club ou … ? Je lui avalai ça tellement facilement que c’est à peine s’il avait dû sentir le saut. On enchainait direct sur le gué. Il allait un peu faire trempette par ce que dans l’eau j’avais tendance à mouliner un peu. Une petite butte ensuite, toute facile et un piano. J’aimais pas trop ça les pianos mais je m’en sortais pas mal et là … SURPRISE ! Un sol extrêmement glissant. J’avais l’impression de patiner. Je dérapai sur le côté, mangeant le virage et ensuite une stère. J’suis censé la passer comment là ? Help ! Je fis saillir mes muscles et accéléra fortement mon galop, me déséquilibrant par la même occasion. Finalement, à par le fait que j’avais sauté sans qu’on me le demande, deux foulées avant, me payant une marge pas possible, mes postérieurs avait glissé sur la terre grasse. Finalement ce qui devait arriver arriva … Je me pris le bord de la stère dans le canon et le reste de mon corps fit une espèce d’étrange pirouette envoyant valser mon cavalier avec moi. Mon dos s’écrasa sur la surface plane de la stère très très lourdement, on entendit le bois craqué … Mon cavalier était-il encore sur mon dos je n’en savais rien et dans ces moments-là je m’en fou un peu ! Je me relevai difficilement, et parti plein cul dans le terrain de cross mais la terre encore légèrement grasse à certains endroit me refit tombé car j’étais tout flageolant

Cet étalon, il était d'un agréable... Une fois démarré et bien monté, il était dynamique, précis, et tout semblait aisé avec lui. Je prenais mon pieds, là. Non mais ça me changeait les idées d'avoir un cheval agréable à monter. D'ailleurs, pourquoi je le montais ? Il était drôlement zen l'akhal. Il avait de la patate quand il le fallait, mais il était aussi super calme et s'en était over agréable. Donc si c'était pour me mettre des chevaux tous faits à monter, c'était pas la peine. A part si moi je me plantais, avec Albatros ce serait simplissime.

La preuve en images sur le tour. L'étalon avec une vraie galopade, mais cadencée et calme, il frappait, il rebondissait, il répétait. Le premier obstacle fut avalé avec aisance, on sentait que le cheval ne se retenait pas, il se dégradait presque tant c'était facile pour lui. Il me vola la distance sur le second obstacle et décolla sur un saut plat qui ne me plut que moyennement. J'aurais préféré qu'il cherche à se rapprocher pour frapper et s'articuler, un peu comme sur un gros oxer en carrière quoi. C'était d'ailleurs ce que j'avais demandé mais bon, il avait sauté sans se poser de questions alors je ne pouvais pas trop râler non plus. Sur le gué, le cheval moulina un peu, mais ça c'était rien, il n'avait pas regardé, pas rechigné, il manquait peut-être d'un peu de puissance pour traverser l'eau. Et puis tous les chevaux avaient tendance à mouliner dans un gué, aussi. Il aborda la petite butte dans le même rythme. En passant le piano, je le sentis un peu plus sur le frein. Je gardais donc la jambe prête à agir. Bon, je ne le pressais pas, ce n'était pas le but. Je l'incitais juste à aller de l'autre côté, ce qu'il fit. C'était un brave, celui-là.

Et là, le point délicat du parcours. L'étalon dérapa et se retrouva complètement hors de sa trajectoire. Il était à côté quoi, il avait patiné sur deux mètres au moins par rapport au tracé idéal. La stère arrivait trop mal. Mais il était trop tard pour s'arrêter et trop tard pour y aller. Alors c'était quitte ou double, c'était selon le cheval. Il prit l'option de sauter. Il accéléra et plongea par la même occasion. Mon réflexe fut d'essayer de remettre l'équilibre en place sans l'entraver dans ses mouvements et de m'attendre à tout. Il décolla de super – trop – loin et je perdis mon cœur pendant le saut parce que ça avait de quoi me secouer. En prime il avait glissé en prenant l'appel des postérieurs et il atterrit...

Sur la stère. Il se vrilla totalement à cause d'un postérieur qui avait tapé et s'écrasa contre l'obstacle. Et moi, vous me demandez ? Catapulté dès le début du saut, j'étais dans l'incapacité de tenir. La dernière chose que je vis, c'est l'obstacle qui se rapprochait dangereusement de moi et un postérieur aussi, puisque Albatros se débattit pour s'échapper de ce bout de bois. Après, c'est le black-out. Je ne ressentais qu'une douleur vive et propre à vous tuer sur tout le côté droit. La tête, l'épaule, les côtes... Je ne sentais plus mes jambes. Je suis incapable de vous dire la suite. Je vous fais le topo ? Ma bombe avait volé en éclats. Elle avait littéralement explosé, cassée en deux. Cette banale séance de cross avait mal, très mal, excessivement mal fini.